LEONARD, Nicolas-Germain


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Un seul être me manque et tout est dépeuplé.
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Les regrets

Pourquoi ne me rendez-vous pas

Les doux instants de ma jeunesse !

Dieux puissants! ramenez la course enchanteresse

De ce temps qui s'enfuit dans la nuit du trépas !

Mais quelle ambition frivole !

Ah ! dieux ! si mes désirs pouvaient être entendus,

Rendez-moi donc aussi le plaisir qui s'envole

Et les amis que j'ai perdus!

Campagne d'Arpajon ! solitude riante

Où l'Orge fait couler son onde transparente !

Les vers que ma main a gravés

Sur tes saules chéris ne sont-ils plus encore ?

Le temps les a-t-il enlevés

Comme les jeux de mon aurore ?

ô désert ! confident des plus tendres amours !

Depuis que j'ai quitté ta retraite fleurie,

Que d'orages cruels ont tourmenté mes jours !

Ton ruisseau dont le bruit flattait ma rêverie,

Plus fidèle que moi, sur la même prairie.

Suit constamment le même cours :

Ton bosquet porte encore une cime touffue

Et depuis dix printemps, ma couronne a vieilli,

Et dans les régions de l'éternel oubli

Ma jeune amante est descendue.


Quand irai-je revoir ce fortuné vallon

Qu'elle embellissait de ses charmes ?

Quand pourrai-je sur le gazon

Répandre mes dernières larmes ?

D'une tremblante main, j'écrirai dans ces lieux : «

C'est ici que je fus heureux ! »

Amour, fortune, renommée,

Tes bienfaits ne me tentent plus ;

La moitié de ma vie est déjà consumée,

Et les projets que j'ai conçus

Se sont exhalés en fumée :

De ces moissons de gloire et de félicité

Qu'un trompeur avenir présentait à ma vue,

Imprudent! qu'ai-je rapporté?

L'empreinte de ma chaîne et mon obscurité :

L'illusion est disparue ;

Je pleure maintenant ce qu'elle m'a coûté ;

Je regrette ma liberté

Aux dieux de la faveur si follement vendue.

Ah ! plutôt que d'errer sur des flots inconstants,

Que n'ai-je le destin du laboureur tranquille !

Dans sa cabane étroite, au déclin de ses ans.

Il repose entouré de ses nombreux enfants ;

L'un garde les troupeaux ; l'autre porte à la ville

Le lait de son étable, ou les fruits de ses champs.

Et de son épouse qui file

Il entend les folâtres chants.


Mais le temps même à qui tout cède

Dans les plus doux abris n'a pu fixer mes pas !

Aussi léger que lui, l'homme est toujours, hélas !

Mécontent de ce qu'il possède

Et jaloux de ce qu'il n'a pas.

Dans cette triste inquiétude,

On passe ainsi la vie à chercher le bonheur.

À quoi sert de changer de lieux et d'habitude

Quand on ne peut changer son cœur?



L’Absence


Des hameaux éloignés retiennent ma compagne.

Hélas ! Dans ces forêts qui peut se plaire encor ?

Flore même à présent déserte la campagne

Et loin de nos bergers l’amour a pris l’essor.

Doris vers ce coteau précipitait sa fuite,

Lorsque de ses attraits je me suis séparé :

Doux zéphyr ! si tu sors du séjour qu’elle habite,

Viens ! que je sente au moins l’air qu’elle a respiré.

Quel arbre, en ce moment, lui prête son ombrage ?

Quel gazon s’embellit sous ses pieds caressants ?

Quelle onde fortunée a reçu son image ?

Quel bois mélodieux répète ses accents ?


Que ne suis-je la fleur qui lui sert de parure,

Ou le noeud de ruban qui lui presse le sein,

Ou sa robe légère, ou sa molle chaussure,

Ou l’oiseau qu’elle baise et nourrit de sa main !

Rossignols, qui volez où l’amour vous appelle,

Que vous êtes heureux ! que vos destins sont doux !

Que bientôt ma Doris me verrait auprès d’elle

Si j’avais le bonheur de voler comme vous !

Ah ! Doris, que me font ces tapis de verdure,

Ces gazons émaillés qui m’ont vu dans tes bras,

Ce printemps, ce beau ciel, et toute la nature,

Et tous les lieux enfin où je ne te vois pas ?


Mais toi, parmi les jeux et les bruyantes fêtes,

Ne va point oublier les plaisirs du hameau,

Les champêtres festons dont nous parions nos têtes,

Nos couplets ingénus, nos danses sous l’ormeau !

Ô ma chère Doris, que nos feux soient durables !

Il me faudrait mourir, si je perdais ta foi.

Ton séjour t’offrira des bergers plus aimables,

Mais tu n’en verras point de plus tendres que moi.

Que ton amant t’occupe au lever de l’aurore,

Et quand le jour t’éclaire, et quand il va finir ;

Dans tes songes légers, qu’il se retrace encore,

Et qu’il soit, au réveil, ton premier souvenir.


Si mes jaloux rivaux te parlaient de leur flamme,

Rappelle à ton esprit mes timides aveux :

Je rougis, je tremblai ; tu vis toute mon âme

Respirer sur ma bouche et passer dans mes yeux.

Et maintenant, grands dieux ! quelle est mon infortune !

De mes plus chers amis je méconnais la voix,

Tout ce qui me charmait m’afflige et m’importune ;

Je demande Doris à tout ce que je vois.

Tu reposais ici ; souvent dans ce bocage,

Penché sur tes genoux, je chantais mon amour :

Là, nos agneaux paissaient au même pâturage ;

Ici, nous nous quittions vers le déclin du jour.


Revenez, revenez, heures délicieuses,

Où Doris habitait ces tranquilles déserts,

L’écho répétera mes chansons amoureuses,

Et sur ma flûte encor je veux former des airs.


À propos de l’esclavage
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Sur des tables d’airain , on marque ç ces victimes

Le nombre de leurs coups, ou plutôt de nos crimes!
Nous voyons, sans pitié, des mères dans les pleurs

Allaiter leurs enfants qui ne sont pas pour elles!

La beauté se flétrit sous nos verges cruelles;

L’amour voluptueux qui jouait sur des fleurs

S’envole au bruit des fouets et des cris de douleurs:

A force de travaus, de peines, de supplices,

On leur fait un enfer de ces lieux de délices.
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