FEYDEAU, Georges
Le Dindon
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PONTAGNAC : Tenez, avouez-le franchement, vous en aimez un autre.
LUCIENNE : Oh ! mais, savez-vous bien, monsieur, que vous devenez de la dernière impertinence ! Alors, vous n'admettez pas qu'une femme puisse être une épouse fidèle ! Si elle vous résiste, c'est qu'elle en aime un autre ! Il n'y a pas d'autre mobile ! Mais quelles femmes êtes-vous donc habitué à fréquenter ?
PONTAGNAC : Ecoutez, vous me promettez de ne jamais confier à personne ce que je vais vous dire ?
LUCIENNE : ( s'asseyant dans le fauteuil .) Même pas à mon mari.
PONTAGNAC : ( s'asseyant sur le pouf .) Je n'en demande pas davantage. Eh bien ! j'ai de la peine à croire que vous puissiez l'aimer.
LUCIENNE : En voilà une idée ! Reculez-vous donc.
(Pontagnac rapproche encore le pouf. )
LUCIENNE : Non, reculez-vous.
PONTAGNAC : ( reculant le pouf .) Oh ! pardon !... Certainement c'est un excellent garçon ! Je l'aime beaucoup.
LUCIENNE : J'ai vu ça tout de suite.
PONTAGNAC : Mais, entre nous, ce n'est pas un homme capable d'inspirer une passion.
LUCIENNE : ( sévèrement .) C'est mon mari !
PONTAGNAC : ( se levant .) Là, vous voyez bien que vous êtes de mon avis.
LUCIENNE : Mais pas du tout !
PONTAGNAC : Mais si ! mais si I Si vous l'aimiez, ce qui s'appelle aimer — je ne parle pas d'affection —, est-ce que vous auriez besoin de motiver votre amour ? La femme qui aime dit : « J'aime parce que j'aime », elle ne dit pas : « J 'aime parce qu'il est mon mari ». L'amour n'est pas une conséquence, c'est un principe ! II n'existe, il ne vaut qu'à l'état d'essence ; vous, vous nous le servez à l'état d'extrait.
LUCIENNE : Vous avez des comparaisons de parfumeur.
PONTAGNAC : Qu'est-ce que ça prouve, le mari ? Tout le monde peut être mari ! Il suffit d'être agréé par la famille... et d'avoir été admis au conseil de révision ! On ne demande que des aptitudes comme pour être employé de ministère, chef de contentieux. ( Se rasseyant sur le pouf .) Tandis que pour l'amant, il faut l'au-delà. Il faut la flamme ! C'est l'artiste de l'amour. Le mari n'en est que le rond-de-cuir.
LUCIENNE : Et alors, c'est sans doute comme artiste de l'amour que vous venez.
PONTAGNAC : Ah ! oui !
LUCIENNE : Eh bien ! non, cher monsieur, non. Je vais peut-être vous paraître bien ridicule, mais j'ai le bonheur d'avoir pour mari un homme qui résume pour moi vos deux définitions : le rond-de-cuir et ce que vous appelez l'artiste de l'amour.
PONTAGNAC : C'est rare !
LUCIENNE : Je ne désire donc rien de plus, et tant qu'il n'ira pas porter ses qualités artistiques à l'extérieur...
PONTAGNAC : Ah ! vraiment, s'il allait porter...
LUCIENNE : ( se levant.) À l'extérieur ! Ah ! ah ! ce serait autre chose ! Je suis de l'école de Francillon et moi, alors, j'irais jusqu'au bout.
PONTAGNAC : ( se levant .) Ah ! que vous êtes bonne !
LUCIENNE : II n'y a pas de quoi ! Jamais la première, mais la seconde... tout de suite !... comme je le disais dernièrement à...
PONTAGNAC : ( voyant qu'elle s'arrête .) À ?
LUCIENNE : À une de mes cousines qui insistait beaucoup pour savoir si je ne me déciderais pas un jour.
PONTAGNAC : ( incrédule .) À une cousine ?
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