SPONDE, Jean de


Tout s’enfle contre moi

Tout s’enfle contre moi, tout m’assaut, tout me tente,

Et le Monde, et la Chair, et l’Ange révolté,

Dont l’onde, dont l’effort, dont le charme inventé,

Et m’abîme, Seigneur, et m’ébranle, et m’enchante,


Quelle nef, quel appui, quelle oreille dormante,

Sans péril, sans tomber, et sans être enchanté,

Me don’ras-tu ? Ton Temple o ù vit ta Saintet é ,

Ton invincible main, et ta voix si constante.


Et quoi ? mon Dieu, je sens combattre maintes fois

Encore avec ton Temple, et ta main, et ta voix,

Cet Ange révolté, cette chair, et ce Monde.


Mais ton Temple pourtant, ta main, ta voix sera

La nef, l’appui, l’oreille, où ce charme perdra,

Où mourra cet effort, où se rompra cette Onde.



Mais s’il faut mourir!


Mais si1 faut-il mourir ! et la vie orgueilleuse,

Qui brave de la mort, sentira ses fureurs ;

Les Soleils hâleront ces journalières fleurs,

Et le temps crèvera cette ampoule venteuse.


Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,

Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs ;

L'Huile de ce Tableau ternira ses couleurs,

Et ces flots se rompront à la rive écumeuse.


J'ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux,

Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,

Où, d'une ou d'autre part, éclatera l'orage.


J'ai vu fondre la neige, et ses torrents tarir,

Ces lions rugissants, je les ai vus sans rage.

Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.



Sur sa fièvre


Que faites-vous dedans mes os,

Petites vapeurs enflammées,

Dont les pétillantes fumées

M'étouffent sans fin le repos ?


Vous me portez de veine en veine

Les cuisants tisons de vos feux,

Et parmi vos détours confus

Je perds le cours de mon haleine.


Mes yeux, crevés de vos ennuis,

Sont bandés de tant de nuages

Qu'en ne voyant que des ombrages

Ils voyent des profondes nuits.


Mon cerveau, siège de mon âme,

Heureux pourpris de ma raison,

N'est plus que l'horrible prison

De votre plus horrible flamme.


J'ai cent peintres dans ce cerveau,

Tous songes de vos frénésies,

Qui grotesquent mes fantaisies

De feu, de terre, d'air et d'eau.


C'est un chaos que ma pensée

Qui m'élance ore sur les monts,

Ore m'abîme dans un fond,

Me poussant comme elle est poussée.


Ma voix qui n'a plus qu'un filet

A peine, à peine encore tire

Quelque soupir qu'elle soupire

De l'enfer des maux où elle est.


Las ! mon angoisse est bien extrême ;

Je trouve tout à dire en moi,

Je suis bien souvent en émoi,

Si c'est moi-même que moi-même.


A ce mal dont je suis frappé

Je comparais jadis ces rages

Dont Amour frappe nos courages,

Mais, Amour, je suis bien trompé,


Il faut librement que je dise :

Au prix d'un mal si furieux,

J'aimerais cent mille fois mieux

Faire l'amour toute ma vie.



Qui sont, qui sont ceux-là, dont le coeur idolâtre


Qui sont, qui sont ceux-là, dont le coeur idolâtre
Se jette aux pieds du Monde, et flatte ses honneurs,
Et qui sont ces valets, et qui sont ces Seigneurs,
Et ces âmes d'Ebène, et ces faces d'Albâtre ?

Ces masques déguisés, dont la troupe folâtre
S'amuse à caresser je ne sais quels donneurs
De fumées de Cour, et ces entrepreneurs
De vaincre encor le Ciel qu'ils ne peuvent combattre ?

Qui sont ces louvoyeurs qui s'éloignent du Port ?
Hommagers à la Vie, et félons à la Mort,
Dont l'étoile est leur Bien, le Vent leur fantaisie ?

Je vogue en même mer, et craindrais de périr
Si ce n'est que je sais que cette même vie
N'est rien que le fanal qui me guide au mourir.



Ha ! que j’en vois bien peu songer à cette mort,

Ha ! que j’en vois bien peu songer à cette mort,

Et si chacun la cherche aux dangers de la guerre,

Tantôt dessus la Mer, tantôt dessus la Terre,

Mais las ! dans son oubli tout le monde s’endort.


De la Mer, on s’attend à ressurgir au Port,

Sur la Terre, aux effrois dont l’ennemi s’atterre :

Bref chacun pense à vivre, et ce vaisseau de verre

S’estime être un rocher bien solide, et bien fort.


Je vois ces vermisseaux bâtir dedans leurs plaines,

Les monts de leurs desseins, dont les cimes humaines

Semblent presque égaler leurs coeurs ambitieux.


Géants, où poussez-vous ces beaux amas de poudre?

Vous les amoncelez ? Vous les verrez dissoudre :

Ils montent de la Terre ? Ils tomberont des Cieux.



Pour qui tant de travaux ?


Pour qui tant de travaux ? pour vous ? de qui l’haleine

Pantelle en la poitrine et traîne sa langueur ?

Vos desseins sont bien loin du bout de leur vigueur

Et vous êtes bien près du bout de votre peine.


Je vous accorde encore une emprise certaine,

Qui de soi court du Temps l’incertaine rigueur ;

Si perdrez-vous enfin ce fruit ce labeur :

Le mont est foudroyé plus souvent que la plaine


Ces sceptres enviés, ces Trésors débattus,

Champ superbe du camp de vos fières vertus,

Sont de l’avare mort le débat et l’envie.


Mais pourquoi ce souci ? mais pourquoi cet effort ?

Savez-vous bien que c’est le train de cette vie ?

La fuite de la Vie, et la course à la Mort.