PERRAULT, Charles


La beauté pour le sexe est un rare trésor,

De l'admirer jamais on ne se lasse ;

Mais ce qu'on nomme bonne grâce

Est sans prix, et vaut mieux encor.


C'est ce qu'à Cendrillon fit avoir sa Marraine,

En la dressant, en l'instruisant,

Tant et si bien qu'elle en fit une Reine :

(Car ainsi sur ce Conte on va moralisant.)


Belles, ce don vaut mieux que d'être bien coiffées,

Pour engager un coeur, pour en venir à bout,

La bonne grâce est le vrai don des Fées ;

Sans elle on ne peut rien, avec elle, on peut tout.



C'est sans doute un grand avantage,

D'avoir de l'esprit, du courage,

De la naissance, du bon sens,

Et d'autres semblables talents,

Qu'on reçoit du Ciel en partage ;

Mais vous aurez beau les avoir,

Pour votre avancement ce seront choses vaines,

Si vous n'avez, pour les faire valoir,

Ou des parrains ou des marraines.



On voit ici que de jeunes enfants,

Surtout de jeunes filles

Belles, bien faites, et gentilles,

Font très mal d'écouter toute sorte de gens,

Et que ce n'est pas chose étrange,

S'il en est tant que le loup mange.

Je dis le loup, car tous les loups

Ne sont pas de la même sorte;

Il en est d'une humeur accorte,

Sans bruit, sans fiel et sans courroux,

Qui privés, complaisants et doux,

Suivent les jeunes Demoiselles

Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles;

Mais hélas! qui ne sait que ces Loups doucereux,

De tous les Loups sont les plus dangereux.




J'ai le visage long, et la mine naïve,

Je suis sans finesse et sans art;

Mon teint est fort uni, sa couleur assez vive

Et je ne mets jamais de fard.


Mon abord est civil, j'ai la bouche riante

Et mes yeux ont mille douceurs,

Mais quoique je sois belle, agréable et charmante,

Je règne sur bien peu de coeurs.


On me cajole assez, et presque tous les hommes

Se vantent de suivre mes lois;

Mais que j'en connais peu dans le siècle où nous sommes,

Dont le coeur réponde à la voix!


Ceux que je fais aimer d'une flamme fidèle

Me font l'objet de tous leurs soins;

Et quoique je vieillisse ils me trouvent fort belle

Et ne m'en estiment pas moins.


On m'accuse souvent d'aimer trop à paraître

Où l'on voit la prospérité,

Cependant il est vrai qu'on ne peut me connaître

Qu'au milieu de l'adversité.