B
ÉR
IMONT, Luc
Je t'attends aux grilles des routes
Je t'attends aux grilles des routes
aux croisées du vent du sommeil
je crie ton nom au fond des soutes
des marécages sans oiseaux
Du fond de ce désert de fonte
où je pose un à un mes pas
j'attends la source de tes bras
de tes cheveux de ton haleine
J'attends la source de tes bras
de tes cheveux de ton haleine
tu es terrible tu m'enchaînes
tu me dévastes tu me fais
Je t'attends comme la forêt
inextricable enchevêtrée
tissée de renards et de geais
mais que le matin fait chanter.
Gigue
La guerre, on la dansait dans la cour de l’école
Bardés de cheveux fous et de tabliers noirs
On sentait l’encre amère, un peu la confiture,
Une mouche d’été dormait sur nos devoirs.
L’institutrice était une jeune bergère
Qui avait entendu la voix de Michelet.
Ses yeux fleurs préféraient le rêve à la lecture
Ses seins n’avaient jamais bourgeonné dans des doigts.
Parfois, les jeudis clairs, elle allait en voiture
Acheter à la ville un coupon de satin.
Son fiancé, était – disait-on – mort en guerre
C’est un très grand malheur quand on n’en compte qu’un.
Crève le ciel d’orage et meurt la bergère
C’est avec nos cœurs sourds que nous dansons la guerre.
Chanson pour la nommer
Elle est comme un puits de feuillage
Douce comme le flanc du vent
Affolée comme un feu flambant
Dérivante comme un nuage.
Elle est la sueur et la nage
Elle est le sable en plein midi
Une humide touffe de nuit
Prise entre la lune et minuit.
Elle est la belle et l’opportune,
L’indolente, le foin de mai
Et parmi ses cheveux défaits
La pluie fine sur l’églantier.
Au secret
Si je disais la vie, la fraise aux lèvres vous auriez
La langue du loriot, la fièvre du laurier
L’églantier de la pluie et les cuisses de l’eau
Si je disais les mots
Qui convoquent les morts et les hauts pâturages
Les citrons de la nuit, la paille des orages
La servante alanguie, les armoires de suie
Le cheval aveuglé et l’automne qui grince
Les hôpitaux tapis, les amants dans leur lit
Le boulanger, le geai, les journaux tiédis d’encre
Si je livrais les mots que je retiens à l’ancre
En cette chambre basse où jamais vous n’entrez
Hommes ! Vous laisseriez les vins lourds de septembre
Vous partiriez roussis de feuilles, de saisons
Titubants de soleils, charnus de vos moissons
Et je vous aimerais comme un lièvre ou un faon.
Fortes
à Hélène Martin
La lune est si forte
Que ma lampe est douce
La fable est si forte
Que le ciel y boit
La mer est si forte
Que la terre est seule
La femme est si forte
Qu’elle ouvre ses bras
(La nuit d’été parle
aux chiens qui l’aboient)
La vie est si forte
Qu’elle meurt en moi
À chaque heure morte
Et continuera
Limbes.
Limbes ! enfouissez-moi à la saison des pluies
Limbes de mémoire et de vent
Souvent, je rends les armes à ce temps dérouté
La peau morte qui saigne est un étrange mal
Des cortèges en moi se forment sur les places
Défilés paysans, filles souillées, soldats
Les grands-pères s’en vont dans leurs velours suris
Boire la bière noire aux estaminets gris
Les veuves se rhabillent en d’étranges postures
Les guêpes alourdies rament les confitures
Et vous seuls, mes soldats, continuez vos rires
Dans un brouillard de larmes et de tabac mêlés
Soldats bleus, mes fontaines
Les charrois du passé vous convoient dans l’hiver
Vous vous chauffez au feu allumé dans la neige
Vous touchez gravement des vaisselles flamandes
Vous écoutez la mer battre dans une haie
Vous détournez vos pas devant un hérisson
Vous déplacez des reins le poids du fusil mort
Soldats bleus, mon domaine
Les limbes du sommeil, et le froid, vous allouent
Sais-je si je suis plus qu’un rêve sans dormeur ?
Le vent arrogant
Le vent arrogant du printemps
suinte aux cassures de la terre
La porte se souvient qu'elle fut des forêts
la vitre fut du marécage
Dans la nuit du tréfonds des temps
fenêtres, portes besognées
font gémir leurs formes d'attache
Un humble terrain mou
dépendant des villas
allume une jacinthe humide
La nuit d’aube
Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l’hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige.
Une rose a tremblé sur la paille, à l'auberge
L'ange au gantelet noir roule sous les sapins
Une rose a tremblé, plus frileuse qu'un cierge
La neige lacerait le ciel ultramontain.
Édifice du temps un enfant vous renverse
Une rose, une lampe, une larme au matin.
Il suffit d’un baiser qui réchauffe la neige
Et notre rose à nous brûle déjà ta main.