DESBORDES-VALMORE, Marceline
Le serment
Idole de ma vie,
Mon tourment, mon plaisir,
Dis-moi si ton envie
S’accorde à mon désir ?
Comme je t’aime en mes beaux jours,
Je veux t’aimer toujours.
Donne-moi l’espérance ;
Je te l’offre en retour.
Apprends-moi la constance ;
Je t’apprendrai l’amour.
Comme je t’aime en mes beaux jours,
Je veux t’aimer toujours.
Sois d’un cœur qui t’adore
L’unique souvenir ;
Je te promets encore
Ce que j’ai d’avenir.
Comme je t’aime en mes beaux jours,
Je veux t’aimer toujours.
Vers ton âme attirée
Par le plus doux transport,
Sur ta bouche adorée
Laisse-moi dire encor :
Comme je t’aime en mes beaux jours
Je veux t’aimer toujours.
L'isolement
Quoi ! ce n'est plus pour lui, ce n'est plus pour l'attendre,
Que je vois arriver ces jours longs et brûlants ?
Ce n'est plus son amour que je cherche à pas lents ?
Ce n'est plus cette voix si puissante, si tendre,
Qui m'implore dans l'ombre, ou que je crois entendre ?
Ce n'est plus rien ? Où donc est tout ce que j'aimais ?
Que le monde est désert ! n'y laissa-t-il personne ?
Le temps s'arrête et dort : jamais l'heure ne sonne.
Toujours vivre, toujours ! on ne meurt donc jamais ?
Est-ce l'éternité qui pèse sur mon âme ?
Interminable nuit, que tu couvres de flamme !
Comme l'oiseau du soir qu'on n'entend plus gémir,
Auprès des feux éteints que ne puis-je dormir !
Car ce n'est plus pour lui qu'en silence éveillée
La muse qui me plaint, assise sur des fleurs,
M'attire dans les bois, sous l'humide feuillée,
Et répand sur mes vers des parfums et des pleurs.
Il ne lit plus mes chants, il croit mon âme éteinte ;
Jamais son cœur guéri n'a soupçonné ma plainte ;
Il n'a pas deviné ce qu'il m'a fait souffrir.
Qu'importe qu'il l'apprenne ? il ne peut me guérir.
J'épargne à son orgueil la volupté cruelle
De juger dans mes pleurs l'excès de mon amour.
Que devrais-je à mes cris ? Sa frayeur ? son retour ?
Sa pitié ? . . . C'est la mort que je veux avant elle.
Tout est détruit : lui-même, il n'est plus le bonheur :
Il brisa son image en déchirant mon cœur.
Me rapporterait-il ma douce imprévoyance,
Et le prisme charmant de l'inexpérience ?
L'amour en s'envolant ne me l'a pas rendu :
Ce qu'on donne à l'amour est à jamais perdu.
Élégie
Peut-être un jour sa voix tendre et voilée
M’appellera sous de jeunes cyprès :
Cachée alors au fond de la vallée,
Plus heureuse que lui, j’entendrai ses regrets.
Lentement, des coteaux je le verrai descendre ;
Quand il croira ses pas et ses vœux superflus,
Il pleurera ! ses pleurs rafraîchiront ma cendre :
Enchaînée à ses pieds, je ne le fuirai plus.
Je ne le fuirai plus : je l’entendrai ; mon âme,
Brûlante autour de lui, voudra sécher ses pleurs ;
Et ce timide accent, qui trahissait ma flamme,
Il le reconnaîtra dans le doux bruit des fleurs.
Oh ! qu’il trouve un rosier mourant et solitaire ;
Qu’il y cherche mon souffle et l’attire en son sein ;
Qu’il dise : « C’est pour moi qu’il a quitté la terre ;
Ses parfums sont à moi, ce n’est plus un larcin. »
Qu’il dise : « Un jour à peine il a bordé la rive ;
Son vert tendre égayait le limpide miroir ;
Et ses feuilles déjà dans l’onde fugitive
Tombent : faible rosier, tu n’as pas vu le soir ! »
Alors, peut-être, alors l’hirondelle endormie,
À la voix d’un amant qui pleure son amie,
S’échappera du sein des parfums précieux,
Emportant sa prière et ses larmes aux cieux :
Alors, rêvant aux biens que ce monde nous donne,
Il laissera tomber sur le froid monument
Les rameaux affligés dont la gloire environne
Son front triste et charmant.
Alors je resterai seule, mais consolée ;
Les vents respecteront l’empreinte de ses pas.
Déjà je voudrais être au fond de la vallée ;
Déjà je l’attendrais... Dieu ! s’il n’y venait pas !
Les roses de Saadi
J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.
Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;
La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir
Qu'en avez-vous fait
Vous aviez mon coeur,
Moi, j'avais le vôtre :
Un coeur pour un coeur ;
Bonheur pour bonheur !
Le vôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre,
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !
La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur :
Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?
Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,
Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !
Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'amour ?
Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde ;
Vous appellerez,
Et vous songerez !...
Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte ;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.
Et l'on vous dira :
« Personne !... elle est morte. »
On vous le dira ;
Mais qui vous plaindra ?
Les séparés
N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas!
N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu'à Dieu...qu'à toi, si je t'aimais!
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
N'écris pas!
N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas!
N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
N'écris pas!
Dans la rue
Pour un jour funèbre de Lyon
LA FEMME
Nous n'avons plus d'argent pour enterrer nos morts.
Le prêtre est là, marquant le prix des funérailles ;
Et les corps étendus, troués par les mitrailles,
Attendent un linceul, une croix, un remords.
Le meurtre se fait roi. Le vainqueur siffle et passe.
Où va-t-il ? Au Trésor, toucher le prix du sang.
Il en a bien versé... mais sa main n'est pas lasse ;
Elle a, sans le combattre, égorgé le passant.
Dieu l'a vu. Dieu cueillait comme des fleurs froissées
Les femmes, les enfants qui s'envolaient aux cieux.
Les hommes... les voilà dans le sang jusqu'aux yeux.
L'air n'a pu balayer tant d'âmes courroucées.
Elles ne veulent pas quitter leurs membres morts.
Le prêtre est là, marquant le prix des funérailles ;
Et les corps étendus, troués par les mitrailles,
Attendent un linceul, une croix, un remords.
Les vivants n'osent plus se hasarder à vivre.
Sentinelle soldée, au milieu du chemin,
La mort est un soldat qui vise et qui délivre
Le témoin révolté qui parlerait demain...
DES FEMMES
Prenons nos rubans noirs, pleurons toutes nos larmes ;
On nous a défendu d'emporter nos meurtris.
Ils n'ont fait qu'un monceau de leurs pâles débris :
Dieu ! bénissez-les tous; ils étaient tous sans armes !
Fête d’une ville de Flandre
Pour Philippe-le-Bon.
C’est demain qu’une ville aimée,
Aimante et joyeuse, et charmée,
Tout en fête s’éveillera ;
C’est demain que fifres et danse, ;
Parcourant le sol en cadence,
Riront au peuple, qui rira !
De fleurs et de chants couronnée,
Levez-vous donc, belle journée,
Pour bénir mon premier séjour :
Que dans vos heures sans alarme,
Il ne tombe pas une larme
Sur la Flandre, ma sainte amour !
Que nul serpent n’y souille l’herbe ;
Que l’humble épi s’y lève en gerbe ;
Comme on le voyait au vieux temps ;
Que les chaînes en soient bannies,
Que les mères y soient bénies ;
Que les pauvres y soient contents !
Répondez, cloches bondissantes,
Aux fanfares retentissantes,
Chantant gloire et patrie en chœur
Promenez vos belles volées,
Et de vos hymnes redoublées,
De ma Flandre égayez le cœur !
Ainsi que les ondes accrues ;
Enfants qui remplissez les rues,
N’est-ce pas que c’est doux à voir ?
Ouvrez vos yeux et vos oreilles,
Du jour contemplez les merveilles,
Pour nous les raconter le soir.
Entrez, hameau, bourg et village :
Par ces grands tableaux du vieil âge,
Vous le voyez, ô bonnes gens,
Si notre Philippe est encore
Couronné d’un nom qu’on adore,
C’est qu’il aimait les indigents !
Mais d’où vient que mon âme pleure
Sur le clocher où chante l’heure,
Et sonne aux autres un beau jour ?
Non, dans ses fêtes sans alarme,
Qu’il ne tombe pas une larme
Sur la Flandre, ma sainte amour !
Mon père a chanté dans l’espace ;
Où son ombre a passé, je passe,
Comme lui priant et chantant :
L’orgue ainsi lève sa prière,
Attendrissant la nef entière ;
L’orgue est triste ; il chante pourtant !