GLISSANT, Edouard



Pour Mycéa


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Si la nuit te dépose au plus haut de la mer

N’offense en toi la mer par échouage des anciens dieux

Seules les fleurs savent comme on gravit l’éternité

Nous t’appelons terre blessée ô combien notre temps

Sera bref, ainsi l’eau dont on ne voit le lit

Chanson d’eau empilée sur l’eau du triste soir

Tu es douce à celui que tu éloignes de ta nuit

Tel un gravier trop lourd enfoui aux grèves de minuit

J’ai mené ma rame entre les îles je t’ai nommée

Loin avant que tu m’aies désigné pour asile et souffle

Je t’ai nommée Insaisissable et Toute-enfuie

Ton rire a séparé les eaux bleues des eaux inconnues

Si la nuit te dépose au plus haut de la mer

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Quand le bruit des bois tarit dans nos corps

Étonnés nous lisons cette aile de terre

Rouge, à l’ancrée de l’ombre et du silence

Nous veillons à cueillir en la fleur d’agave

La brûlure d’eau où nous posons les mains

Toi plus lointaine que l’acoma fou de lumière

Dans les bois où il acclame tout soleil et moi

Qui sans répit m’acharne de ce vent

Où j’ai conduit le passé farouche

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L’eau du morne est plus grave

Où les rêves ne dérivent

Tout le vert tombe en nuit nue

Quelle feuille ose sa pétulance

Quels oiseaux rament et crient

Dru hélé de boues mon pays

Saison déracinée qui revient à sa source

Un vent rouge seule pousse haut sa fleur

Dans la houle qui n’a profondeur et toi

Parmi les frangipanes dénouée lassée

D’où mènes-tu ces mots que tu colores

D’un sang de terre sur l’écorce évanoui

Tu cries ta fixité à tout pays maudit
Est-ce ô navigatrice le souvenir

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Plus triste que la nuit où l’agouti s’arrête

Sa patte droite est lacérée d’un épine

Au point où le jour vient il s’acasse et s’entête

Il lèche la blessure et referme la nuit

Ainsi je penche vers mes mots et les assemble

A la ventée où tu venais poser la tête

En ce silence auquel tu voues combien de fêtes

Ta veille ton souci ton rêve tes tempêtes

La volée où tu joues avec le malfini

Les éclats bleus du temps dont tu nous éclabousses

Alors les mots me font brûler mahogany

La ravine où je dors est un brasier qu’on souche

Le jour en cette nuit met la blessure qui nous fit
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Et n’est que cendre en brousses tassée

N’est qu’égarement où le ciel enfante

L’eau d’agave n’apaise pas la fleur timide

Les étoiles chantent d’un seul or qu’on n’entend

Au quatre-chemins où fut rouée la sève

A tant qui crient inspirés du vent

Je hèle inattendue errance

Tu sors de la parole, t’enfuis

Tu es pays d’avant donné en récompense

Invisibles nous conduisons la route

La terre seule comprend

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