LE QUINTREC, Charles
Ma mère
Ma mère ne sait pas jouer du piano
Les épingles du vent d’hiver percent son châle
Elle a pleuré d’être sans feu et sans étoile
Et pauvre, elle a mis le Bon Dieu dans ses travaux.
Aujourd’hui, épuisée, elle dit ses matines
Au lit. Elle aime tant son long chemin de croix
Qu’elle rit en songeant aux peines d’autrefois
Humble dans ses douleurs et dans sa pèlerine.
Du lavoir au jardin, sous la pluie des ponants
Son âme est devenue tendre comme la terre
Quand elle prie les morts reprennent sa prière
Et le paradis passe au milieu des vivants.
Mon pays
Mon pays m'est apparu
Comme un morceau de lumière
Des ronces et des fougères
Des orties sur les talus
Des fermes dans le purin
Des chevaux par les chemins
Des arbres jamais comptés
La cloche depuis l'église
Qui s'envole et se divise
En appelle à l'unité.
Mon pays m'est apparu
Dans sa gloire trinitaire
Des arpents d'orge solaire
La joie des feux d'écobue
Et là-bas sur l'océan
Des mouettes le plain-chant
Le langage des tempêtes
La rude montée du Raz
La roue des vieilles sagas
Pour la légende des siècles.
Mon pays de triste usance
Tout défait par le besoin
Travaillé par la légende
Taraudé par les embruns
Mon pays de hautes landes
Se lève sur l'océan
Je l'aime depuis l'enfance
D'un monde qui fut enfant
Nous jouions à l'insolence
Des arbres qui font des branches
Avec des rëves dedans.
Mon pays de primevères
De sèves et d'infinis
Recommence le pays
Qui s'avance dans la mer
Telle une barque légère
Repoussée par le courant
Il dérive, légendaire,
Par les Traverses du Temps,
Pays de mes vieux enfants
Ô pays de ma poussière !
Le pardon des oiseaux
Si c'est déjà la mort, dites-lui que j'arrive
Je n'ai jamais eu peur de mon dernier matin
Dans le fleuve du Temps qui flotte à la dérive
Je retrouve les litanies des dieux défunts
Et j'entre sans prier dans les de Profundis.
Les voussures du ciel abritent tant d'oiseaux
Tant d'astres vont mourir dans les bois de la biche
Que les cerfs et les daims fuient les forêts en friche
Et l'Ankou se prépare à faucher sur les eaux
Si je dois revenir un jour sur cette rive
Les arbres me suivront vers l'Ouest par troupeaux.
Je suis homme, je sais que la mort me devance
Avec sa robe de ténèbres sur le dos
Je n'ai que mes péchés pour lui prendre sa faulx
Pour la vaincre, il me reste une vaine violence
Laissez-moi, je voudrais retrouver mon enfance
Et demander pardon au peuple des oiseaux....
Chant et déchant
À Xavier Grall.
Dans la forêt un oiseau chante
Ô le bonheur de son déchant !
Dans la rivière de l'enfance
Douce et paisible à coutumance
Le soleil s'amuse du vent.
Dans les landes paillées d'aurore
Je me souviens d'un vieil enfant
Qui parlait aux arbres, aux buissons
Quand les ajoncs s'étoilaient d'or.
Qui sommes-nous pour danser nus
Entre les plous et les paluds ?
La forêt de la souvenance
Pleure ses beaux enfants perdus
Ils avaient fleurs à leurs chapeaux
Ces beaux enfants perdus d'enfance !