SAINT-AMANT, Marc-Antoine de
Entrer dans le bordel d’une démarche grave,
Entrer dans le bordel d’une démarche grave,
Comme un coq qui s’apprête à jouer de l’ergot ;
Demander Janneton, faire chercher Margot
Ou la jeune bourgeoise, à cause qu’elle est brave ;
Fureter tous les trous, jusqu’au fond de la cave,
Y rencontrer Perrette, et, daubant du gigot,
Danser le branle double au son du larigot ;
Puis y faire festin d’une botte de rave ;
N’y voir pour tous tableaux que quelques vieux rébus,
Ou bien quelque almanach qui sema ses abus
L’an que Pantagruel déconfit les andouilles ;
Et, du haut jusqu’au bas, pour tous meubles de pris,
Qu’une vieille paillasse, un pot et des quenouilles :
Voilà le passe-temps du soudart de Cypris.
Assis sur un fagot, une pipe à la main
Assis sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixés vers terre, et l'âme mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.
L'espoir qui me remet du jour au lendemain,
Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée,
Et me venant promettre une autre destinée,
Me fait monter plus haut qu'un Empereur Romain.
Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
Qu'en mon premier état il me convient descendre,
Et passer mes ennuis à redire souvent :
Non, je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac à vivre d'espérance,
Car l'un n'est que fumée, et l'autre n'est que vent.
Moïse sauvé
…..
Sur le luth éclatant de la noble Uranie,
Que me vient d'apporter mon fidèle génie,
Et joignant aux accords qui naissent de mes doigts
Les saints et graves tons de ma nombreuse voix,
Je chante hautement la première aventure
D'un héros dont la gloire étonna la nature ;
Je décris les hasards qu'il courut au berceau ;
Je dis comment Moïse, en un frêle vaisseau
Exposé sur le Nil, et sans voile, et sans rame,
Au lieu de voir couper sa jeune et chère trame,
Fut selon le décret de l'arbitre éternel,
Rendu par une nymphe au doux sein maternel.
…..
... O douleur ! ô remède ! ô lit ! ô sépulture !
Fut-il jamais au monde une telle aventure ?
J'égare exprès un bien afin de le trouver ;
je l'expose aux hasards afin de l'en sauver,
Et par une pitié sinistre et dangereuse,
Même avant le malheur me rendant malheureuse,
Je cherche ma ruine, y cours aveuglément,
Et du sort que je crains hâte l'événement.
Amram, qui la regarde et qui voit en sa peine
Le sensible pouvoir de la faiblesse humaine,
D'une âme plus constante, et plus roide au souci,
Tout d'un temps la rassure et la reprend ainsi :
Qu'est-ce là, Jocabel ? Quelle crainte frivole
Se glisse en ton esprit d'où la raison s'envole ?
Qu'as-tu fait de ton coeur ? Qu'as-tu fait de ta foi ?
Ou plutôt de toi-même, au trouble où je te voi ?
Sont-ce là les trésors, les fruits de la sagesse
Dont le ciel t'a douée avec tant de largesse ?
…..
Faut-il que ton ennui trahisse ta vertu ?
Parle, chère moitié, pourquoi t'affliges-tu ?
Ah ! je vois ce que c'est : tu te fais trop entendre ;
Aux promesses d'en-haut on ne doit point s'attendre ;
Je t'ai dit une fable, et l'incrédulité
Te fait croire menteur le dieu de vérité.
Si jadis hardiment le saint reste du monde
Entra sur sa parole en l'arche vagabonde,
Quand la terre insolente osa heurter les cieux,
Quand l'oeuvre de ses mains déplut même à ses yeux,
Quand il se repentit d'avoir fait son image,
Quand son vassal ingrat lui refusa l'hommage,
Quand, dis-je, son courroux, aussi juste qu'amer,
De tout cet univers ne fit rien qu'une mer ;
Craindras-tu de commettre à sa puissante garde
Cet enfant que sur l'onde il faut que l'on hasarde ?
Et pourras-tu douter, après le signe vu,
Qu'à ses tendres besoins sa grâce n'ait pourvu ?
…..
La solitude
.....
O ! que j'aime la solitude !
Que ces lieux sacrés à la nuit,
Eloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !
Mon Dieu! Que mes yeux sont contents
De voir ces bois qui se trouvèrent
A la nativité du temps,
Et que tous les Siècles révèrent,
Etre encore aussi beaux et verts,
Qu'aux premiers jours de l'Univers !
Un gai zéphyr les caresse
D'un mouvement doux et flatteur.
Rien que leur extrême hauteur
Ne fait remarquer leur vieillesse.
Jadis Pan et ses demi-dieux
Y vinrent chercher du refuge,
Quand Jupiter ouvrit les cieux
Pour nous envoyer le Déluge,
Et se sauvant sur leurs rameaux,
A peine virent-ils les eaux.
Que sur cette épine fleurie,
Dont le printemps est amoureux,
Philomèle au chant langoureux
Entretient bien ma rêverie !
Que je prends de plaisir à voir
Ces monts pendants en précipices,
Qui, pour les coups du désespoir
Sont aux malheureux si propices,
Quand la cruauté de leur sort,
Les force à rechercher la mort !
Que je trouve doux le ravage
De ces fiers torrents vagabonds,
Qui se précipitent par bonds
Dans ce vallon frais et sauvage !
Puis glissant sous les arbrisseaux,
Ainsi que des serpents sur l'herbe,
Se changent en plaisants ruisseaux,
Où quelque Naïade superbe
Règne comme en son lit natal,
Dessus un trône de cristal !
Que j'aime ce marais paisible !
Il est tout bordé d'alisiers,
D'aulnes, de saules et d'osiers,
A qui le fer n'est point nuisible.
Les Nymphes y cherchant le frais,
S'y viennent fournir de quenouilles,
De pipeaux, de joncs et de glais ;
Où l'on voit sauter les grenouilles,
Qui de frayeur s'y vont cacher
Sitôt qu'on veut s'en approcher.
Là, cent mille oiseaux aquatiques
Vivent, sans craindre en leur repos,
Le giboyeur fin et dispos,
Avec ses mortelles pratiques,
L'un, tout joyeux d'un si beau jour,
S'amuse à becqueter sa plume ;
L'autre alentit le feu d'amour
Qui dans l'eau même se consume,
Et prennent tout innocemment
Leur plaisir en cet élément.
Jamais l'été, ni la froidure
N'ont vu passer dessus cette eau
Nulle charrette ni bateau,
Depuis que l'un et l'autre dure ;
Jamais voyageur altéré
N'y fit servir sa main de tasse ;
Jamais chevreuil désespéré
N'y finit sa vie à la chasse ;
Et jamais le traître hameçon
N'en fit sortir aucun poisson.
Que j'aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés,
Contre qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence !
Les sorciers y font leur sabbat ;
Les démons follets s'y retirent,
Qui d'un malicieux ébat
Trompent nos sens et nous martyrent ;
Là se nichent en mille trous
Les couleuvres et les hiboux.
L'orfraie, avec ses cris funèbres,
Mortels augures des destins,
Fait rire et danser les lutins
Dans ces lieux remplis de ténèbres.
Sous un chevron de bois maudit
Y branle le squelette horrible
D'un pauvre amant qui se pendit
Pour une bergère insensible,
Qui d'un seul regard de pitié
Ne daigna voir son amitié.
Aussi le Ciel juge équitable,
Qui maintient les lois en vigueur,
Prononça contre sa rigueur
Une sentence épouvantable :
Autour de ces vieux ossements
Son ombre, aux peines condamnée,
Lamente en longs gémissements
Sa malheureuse destinée,
Ayant pour croître son effroi
Toujours son crime devant soi.
Là, se trouvent sur quelques marbres
Des devises du temps passé ;
Ici, l'âge a presque effacé
Des chiffres taillés sur les arbres ;
Le plancher du lieu le plus haut
Est tombé jusque dans la cave,
Que la limace et le crapaud
Souillent de venin et de bave ;
Le lierre y croît au foyer,
A l'ombrage d'un grand noyer.
Là dessous s'étend une voûte
Si sombre en un certain endroit,
Que, quand Phébus y descendrait,
Je pense qu'il n'y verrait goutte ;
Le sommeil aux pesants sourcils,
Enchanté d'un morne silence,
Y dort, bien loin de tous soucis,
Dans les bras de la Nonchalance,
Lâchement couché sur le dos
Dessus des gerbes de pavots.
Au creux de cette grotte fraîche
Où l'Amour se pourrait geler,
Écho ne cesse de brûler
Pour son amant froid et revêche ;
Je m'y coule sans faire bruit,
Et par la céleste harmonie
D'un doux luth, aux charmes instruit,
Je flatte sa triste manie,
Faisant répéter mes accords
A la voix qui lui sert de corps.
Tantôt, sortant de ces ruines,
Je monte au haut de ce rocher,
Dont le sommet semble chercher
En quel lieu se font les bruines ;
Puis je descends tout à loisir,
Sous une falaise escarpée,
D'où je regarde avec plaisir
L'onde qui l'a presque sapée
Jusqu'au siège de Palemon,
Fait d'éponges et de limon.
Que c'est une chose agréable
D'être sur le bord de la mer,
Quand elle vient à se calmer
Après quelque orage effroyable !
Et que les chevelus Tritons,
Hauts, sur les vagues secouées,
Frappent les airs d'étranges tons
Avec leurs trompes enrouées,
Dont l'éclat rend respectueux
Les vents les plus impétueux.
Tantôt l'onde, brouillant l'arène,
Murmure et frémit de courroux,
Se roulant dessus les cailloux
Qu'elle apporte et qu'elle r'entraîne.
Tantôt, elle étale en ses bords,
Que l'ire de Neptune outrage,
Des gens noyés, des monstres morts,
Des vaisseaux brisés du naufrage,
Des diamants, de l'ambre gris,
Et mille autres choses de prix.
Tantôt, la plus claire du monde,
Elle semble un miroir flottant,
Et nous représente à l'instant
Encore d'autres cieux sous l'onde.
Le soleil s'y fait si bien voir,
Y contemplant son beau visage,
Qu'on est quelque temps à savoir
Si c'est lui-même, ou son image,
Et d'abord il semble à nos yeux
Qu'il s'est laissé tomber des cieux.
…..