FRANCE, Anatole


Elle a des yeux d’acier

Elle a des yeux d'acier; ses cheveux noirs et lourds

Ont le lustre azuré des plumes d'hirondelle;

Blanche à force de nuit amassée autour d'elle,

Elle erre sur les monts et dans les carrefours.

Et nocturne, elle emporte à travers les cieux sourds,

Dans le champ sépulcral où fleurit l'asphodèle,

La pâle jeune fille idéale, et fidèle

À quelque rêve altier d'impossibles amours.

Vierge, elle aime le sang des vierges ; et, farouche,

Elle entr'ouvre la fleur funèbre de sa bouche

Et d'un sourire froid éclaire ses pâleurs,

Lorsque, prête à subir une peine inconnue,

La victime aux cheveux de miel chargés de fleurs,

Mourante et les yeux blancs, offre sa gorge nue.


La mort

Si la vierge vers toi jette sous les ramures
Le rire par sa mère à ses lèvres appris ;
Si, tiède dans son corps dont elle sait le prix,
Le désir a gonflé ses formes demi-mûres ;

Le soir, dans la forêt pleine de frais murmures,
Si, méditant d'unir vos chairs et vos esprits,
Vous mêlez, de sang jeune et de baisers fleuris,
Vos lèvres, en jouant, teintes du suc des mûres ;

Si le besoin d'aimer vous caresse et vous mord,
Amants, c'est que déjà plane sur vous la Mort :
Son aiguillon fait seul d'un couple un dieu qui crée.

Le sein d'un immortel ne saurait s'embraser.
Louez, vierges, amants, louez la Mort sacrée,
Puisque vous lui devez l'ivresse du baiser.