VIVIEN, Renée
J’ai ruiné mon cœur
J’ai ruiné mon cœur, j’ai dévasté mon âme
Et je suis aujourd’hui le mendiant d’amour:
Des souvenirs, pareils à la vermine infâme,
Me rongent à la face implacable du jour.
J’ai ruiné mon cœur, j’ai dévasté mon âme
Et je viens lâchement implorer du destin
Un reflet de tes yeux au caprice divin,
O forme fugitive, ô pâleur parfumée
Si prodigalement, si largement aimée!
J’ai cherché ton regard dans les yeux étrangers,
J’ai cherché ton baiser sur des lèvres fuyantes;
La vigne qui rougit au soleil des vergers
M’a versé dans ses flots le rire des Bacchantes;
J’ai cherché ton regard dans les yeux étrangers
Sans libérer mon cœur de tes âpres caresses.
Et, comme les soupirs des plaintives maîtresses
Qui pleurent dans la nuit un été sans retour,
J’entends gémir l’écho des paroles d’amour.
O forme fugitive, ô pâleur parfumée,
Incertaine douceur arrachée au destin,
Si prodigalement, si largement aimée,
J’ai perdu ton sourire au caprice divin;
O forme fugitive, ô pâleur parfumée,
Tu m’as fait aujourd’hui le mendiant d’amour
Étalant à la face implacable du jour
La douleur sans beauté d’une misère infâme…
J’ai ruiné mon cœur, j’ai dévasté mon âme.
Roses du soir
Des roses sur la mer, des roses dans le soir,
Et toi qui viens de loin, les mains lourdes de roses !
J’aspire ta beauté. Le couchant fait pleuvoir
Ses fines cendres d’or et ses poussières roses…
Des roses sur la mer, des roses dans le soir.
Un songe évocateur tient mes paupières closes.
J’attends, ne sachant trop ce que j’attends en vain,
Devant la mer pareille aux boucliers d’airain,
Et te voici venue en m’apportant des roses…
Ô roses dans le ciel et le soir ! Ô mes roses !
Let the dead burry their dead
Voici la nuit : je vais ensevelir mes morts,
Mes songes, mes désirs, mes douleurs, mes remords,
Tout le passé... je vais ensevelir mes morts.
J'ensevelis, parmi les sombres violettes,
Tes yeux, tes mains, ton front et tes lèvres muettes,
Ô toi qui dors parmi les sombres violettes !
J'emporte cet éclair dernier de ton regard...
Dans le choc de la vie et le heurt du hasard,
J'emporte ainsi la paix de ton dernier regard.
Je couvrirai d'encens, de roses et de roses,
La pâle chevelure et les paupières closes
D'un amour dont l'ardeur mourut parmi les roses.
Que s'élève vers moi l'âme froide des morts,
Abolissant en moi les craintes, les remords,
Et m'apportant la paix souriante des morts !
Que j'obtienne, dans un grand lit de violettes,
Cette immuable paix d'éternités muettes
Où meurt jusqu'à l'odeur des douces violettes !
Que se reflète, au fond de mon calme regard,
Un vaste crépuscule immobile et blafard !
Que diminue enfin l'ardeur de mon regard !
Mais que j'emporte aussi le souvenir des roses,
Lorsqu'on viendra poser sur mes paupières closes
Les lotus et les lys, les roses et les roses ! ...
Le parfum émané de ses membres meurtris Est plein du souvenir des lentes meurtrissures. La débauche a creusé ses yeux bleus assombris.
Rend plus pâles encor ses pâles cheveux blonds. Ses attitudes ont des langueurs énervées. Mais voici que l’Amante aux cruels ongles longs
D’une ardeur si sauvage et si douce à la fois, Que le beau corps brisé s’offre, en demandant grâce, Dans un râle d’amour, de désirs et d’effrois.
S’exaspérant enfin de trop de volupté, Hurle comme l’on hurle aux moments d’agonie, Sans espoir d’attendrir l’immense surdité.
Le brusque étouffement de la plaintive voix, Et sur le cou, pareil à quelque tige morte, Blêmit la marque verte et sinistre des doigts.
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Het parfum, verspreid uit haar geblutste leden, hangt vol herinnering aan trage blauwe plekken. Losbandigheid heeft haar blauwe ogen verziekt.
maakt haar bleekblonde haren nog bleker. Haar allure is er een van geknakte loomheid. Dan grijpt de Minnares 'r plotseling weer vast
met vuur wild en zacht tegelijk, dat het mooie, gekneusde lichaam zich geeft, genade vraagt, met kreunende liefde, verlangen en ontzetting.
uiteindelijk verteerd door teveel wellust, weerklinken zoals gehuil in doodsnood, zonder dat er ook maar iemand luistert.
het plotse stikken van de klagende stem, en aan de hals breekt als een dode stengel het groene, grimmig spoor van vingers door.
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A la Femme aimée
Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,
Le ciel mêlait aux ors le cristal et l’airain.
Ton corps se devinait, ondoiement incertain,
Plus souple que la vague et plus frais que l’écume.
Le soir d’été semblait un rêve oriental
De rose et de santal.
Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes
Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids.
Leurs parfums expirants s’échappaient de tes doigts
En le souffle pâmé des angoisses suprêmes.
De tes clairs vêtements s’exhalaient tour à tour
L’agonie et l’amour.
Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes
La douceur et l’effroi de ton premier baiser.
Sous tes pas, j’entendis les lyres se briser
En criant vers le ciel l’ennui fier des poètes
Parmi des flots de sons languissamment décrus,
Blonde, tu m’apparus.
Et l’esprit assoiffé d’éternel, d’impossible,
D’infini, je voulus moduler largement
Un hymne de magie et d’émerveillement.
Mais la strophe monta bégayante et pénible,
Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,
Vers ta Divinité.
Ressemblance inquiétante
J'ai vu dans ton front bas le charme du serpent.
Tes lèvres ont humé le sang d'une blessure,
Et quelque chose en moi s'écœure et se repent,
Lorsque ton froid baiser me darde sa morsure.
Un regard de vipère est dans tes yeux mi-clos,
Et ta tête furtive et plate se redresse
Plus menaçante après la langueur du repos.
J'ai senti le venin au fond de ta caresse.
Pendant les jours d'hiver énervés et frileux,
Tu rêves aux tiédeurs des profondes vallées,
Et l'on songe, en voyant ton long corps onduleux,
À des écailles d'or lentement déroulées.
Je te hais, mais ta souple et splendide beauté
Me prend et me fascine et m'attire sans cesse,
Et mon cœur, plein d'effroi devant ta cruauté.
Te méprise et t'adore, ô Reptile et Déesse !
A la bien-aimée
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys,
Ma cassolette d'or et ma blanche colonne,
Mon parc et mon étang de roseaux et d'iris.
Vous êtes mes parfums d'ambre et de miel, ma palme,
Mes feuillages, mes chants de cigales dans l'air,
Ma neige qui se meurt d'être hautaine et calme,
Et mes algues et mes paysages de mer.
Et vous êtes ma cloche au sanglot monotone,
Mon île fraîche et ma secourable oasis...
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys.