PARNY, Evariste de
Que le bonheur arrive lentement
Que le bonheur arrive lentement!
Que le bonheur s’éloigne avec vitesse!
Durant le cours de ma triste jeunesse,
Si j’ai vécu, ce ne fut qu’un moment.
Je suis puni de ce moment d’ivresse.
L’espoir qui trompe a toujours sa douceur,
Et dans nos maux du moins il nous console;
Mais loin de moi l’illusion s’envole,
Et l’espérance est morte dans mon cœur.
Ce cœur, hélas! que le chagrin dévore,
Ce cœur malade et surchargé d’ennui,
Dans le passé veut ressaisir encore
De son bonheur la fugitive aurore,
Et tous les biens qu’il n’a plus aujourd’hui;
Mais du présent l’image trop fidèle
Me suit toujours dans ces rêves trompeurs,
Et sans pitié la vérité cruelle
Vient m’avertir de répandre des pleurs.
J’ai tout perdu; délire, jouissance,
Transports brûlants, paisible volupté,
Douces erreurs, consolante espérance,
J’ai tout perdu : l’amour seul est resté.
Billet
Apprenez, ma belle,
Qu'à minuit sonnant,
Une main fidèle,
Une main d'amant,
Ira doucement,
Se glissant dans l'ombre,
Tourner les verrous
Qui dès la nuit sombre,
Sont tirés sur vous.
Apprenez encore
Qu'un amant abhorre
Tout voile jaloux.
Pour être plus tendre,
Soyez sans atours,
Et songez à prendre
L'habit des Amours.
Elégie XIV
Le chagrin dévorant a flétri ma jeunesse.
Je suis mort au plaisir, et mort à la tendresse.
Hélas ! j’ai trop aimé ; dans mon cœur épuisé
Le sentiment ne peut renaître.
(...)
L’amour n’est plus, l’amour est éteint pour la vie ;
Il laisse un vide affreux dans mon âme affaiblie ;
Et la place qu’il occupait
Ne peut jamais être remplie.
Dieu vous bénisse
Quand je vous dis, Dieu vous bénisse !
Je n'entends pas le créateur,
Dont la main féconde et propice
Vous donna tout pour mon bonheur ;
Encor moins le dieu d'hyménée,
Dont l'eau bénite infortunée
Change le plaisir en devoir :
S'il fait des heureux, l'on peut dire
Qu'ils ne sont pas sous son empire,
Et qu'il les fait sans le savoir.
Mais j'entends ce dieu du bel âge,
Qui sans vous serait à Paphos.
Or apprenez en peu de mots
Comme il bénit, ce dieu volage.
Le Désir, dont l'air éveillé
Annonce assez l'impatience,
Lui présente un bouquet mouillé
Dans la fontaine de Jouvence ;
Les yeux s'humectent de langueur,
Le rouge monte au front des belles,
Et l'eau bénite avec douceur
Tombe dans l'âme des fidèles.
Soyez dévote à ce dieu-là,
Vous, qui nous prouvez sa puissance.
Eternuez en assurance ;
Le tendre Amour vous bénira.
A la nuit
Toujours le malheureux t'appelle,
Ô nuit, favorable aux chagrins !
Viens donc, et, porte sur ton aile
L'oubli des perfides humains.
Voile ma douleur solitaire ;
Et, lorsque la main du Sommeil
Fermera ma triste paupière,
Ô dieux ! reculez mon réveil ;
Qu'à pas lents l'aurore s'avance
Pour ouvrir les portes du jour :
Importuns, gardez le silence,
Et laissez dormir mon amour.
Le refroidissement.
Ils ne sont plus ces jours délicieux,
Où mon amour respectueux et tendre
À votre cœur savait se faire entendre,
Où vous m'aimiez, où nous étions heureux.
Vous adorer, vous le dire, et vous plaire,
Sur vos désirs régler tous mes désirs,
C'était mon sort ; j'y bornais mes plaisirs.
Aimé de vous, quels vœux pouvais-je faire ?
Tout est changé : quand je suis près de vous,
Triste et sans voix, vous n'avez rien à dire ;
Si quelquefois je tombe à vos genoux,
Vous m'arrêtez avec un froid sourire,
Et dans vos yeux s'allume le courroux.
Il fut un temps, vous l'oubliez peut-être ?
Où j'y trouvais cette molle langueur,
Ce tendre feu que le désir fait naître,
Et qui survit au moment du bonheur.
Tout est changé, tout, excepté mon cœur !
A mes amis
Rions, chantons, ô mes amis,
Occupons-nous à ne rien faire,
Laissons murmurer le vulgaire,
Le plaisir est toujours permis.
Que notre existence légère
S'évanouisse dans les jeux.
Vivons pour nous, soyons heureux,
N'importe de quelle manière.
Un jour il faudra nous courber
Sous la main du temps qui nous presse ;
Mais jouissons dans la jeunesse,
Et dérobons à la vieillesse
Tout ce qu'on peut lui dérober.
Vers gravés sur un myrte
Myrte heureux, dont la voûte épaisse
Servit de voile à nos amours,
Reçois et conserve toujours
Ces vers enfants de ma tendresse;
Et dis à ceux qu’un doux loisir
Amènera dans ce bocage
Que si l’on mourait de plaisir,
Je serais mort sous ton ombrage.
A Éléonore
Enfin, ma chère Éléonore,
Tu l' as connu ce péché si charmant
Que tu craignais, même en le désirant;
En le goûtant, tu le craignais encore.
Eh bien, dis-moi; qu' a-t-il donc d' effrayant?
Que laisse-t-il après lui dans ton âme?
Un léger trouble, un tendre souvenir,
L'étonnement de sa nouvelle flamme,
Un doux regret, et surtout un désir.
Déjà la rose aux lis de ton visage
Mêle ses brillantes couleurs;
Dans tes beaux yeux, à la pudeur sauvage
Succèdent les molles langueurs,
Qui de nos plaisirs enchanteurs
Sont à la fois la suite et le présage.
Déjà ton sein doucement agité,
Avec moins de timidité
Repousse la gaze légère
Qu' arrangea la main d' une mère,
Et que la main du tendre amour,
Moins discrète et plus familière,
Saura déranger à son tour.
Une agréable rêverie
Remplace enfin cet enjouement,
Cette piquante étourderie,
Qui désespéraient ton amant;
Et ton âme plus attendrie
S'abandonne nonchalamment
Au délicieux sentiment
D'une douce mélancolie.
Ah! Laissons nos tristes censeurs
Traiter de crime abominable
Le seul charme de nos douleurs,
Ce plaisir pur, dont un dieu favorable
Mit le germe dans tous les coeurs.
Ne crois pas à leur imposture;
Leur zèle barbare et jaloux
Fait un outrage à la nature;
Non, le crime n' est pas si doux.
Du plus malheureux des amants
Du plus malheureux des amants
Elle avait essuyé les larmes,
Sur la foi des nouveaux serments
Ma tendresse était sans alarmes ;
J'en ai cru son dernier baiser ;
Mon aveuglement fut extrême.
Qu'il est facile d'abuser
L'amant qui s'abuse lui-même !
Des yeux timides et baissés,
Une voix naïve et qui touche,
Des bras autour du cou passés,
Un baiser donné sur la bouche,
Tout cela n'est point de l'amour.
J'y fus trompé jusqu'à ce jour.
Je divinisais les faiblesses ;
Et ma sotte crédulité
N'osait des plus folles promesses
Soupçonner la sincérité ;
Je croyais surtout aux caresses.
Hélas ! en perdant mon erreur,
Je perds le charme de la vie.
J'ai partout cherché la candeur,
Partout j'ai vu la perfidie.
Le dégoût a flétri mon cœur.
Je renonce au plaisir trompeur,
Je renonce à mon infidèle ;
Et, dans ma tristesse mortelle,
Je me repens de mon bonheur.
Projet de solitude
Fuyons ces tristes lieux, ô maîtresse adorée !
Nous perdons en espoir la moitié de nos jours,
Et la crainte importune y trouble nos amours.
Non loin de ce rivage est une île ignorée,
Interdite aux vaisseaux, et d'écueils entourée.
Un zéphyr éternel y rafraîchit les airs.
Libre et nouvelle encor, la prodigue nature
Embellit de ses dons ce point de l'univers :
Des ruisseaux argentés roulent sur la verdure,
Et vont en serpentant se perdre au sein des mers ;
Une main favorable y reproduit sans cesse
L'ananas parfumé des plus douces odeurs ;
Et l'oranger touffu courbé sous sa richesse,
Se couvre en même temps et de fruits et de fleurs.
Que nous faut-il de plus ? cette île fortunée
Semble par la nature aux amants destinée.
L'océan la resserre, et deux fois en un jour
De cet asile étroit on achève le tour.
Là je ne craindrai plus un père inexorable.
C'est là qu'en liberté tu pourras être aimable,
Et couronner l'amant qui t'a donné son cœur.
Vous coulerez alors, mes paisibles journées,
Par les nœuds du plaisir l'une et l'autre enchaînées :
Laissez moi peu de gloire et beaucoup de bonheur.
Viens ; la nuit est obscure et le ciel sans nuage ;
D'un éternel adieu saluons ce rivage,
Où par toi seule encore mes pas sont retenus.
Je vois à l'horizon l'étoile de Vénus :
Vénus dirigera notre course incertaine.
Éole exprès pour nous vient d'enchaîner les vents ;
Sur les flots aplanis Zéphyre souffle à peine ;
Viens ; l'Amour jusqu'au port conduira deux amants.