ROLLINAT, Maurice
La biche
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
À disparu dans la nuit brune.
Pour raconter son infortune
À la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.
Mais aucune réponse, aucune,
À ses longs appels anxieux !
Et, le cou tendu vers les cieux,
Folle d’amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune
Au crépuscule
Le soir, couleur cendre et corbeau,
Verse au ravin qui s’extasie
Sa solennelle poésie
Et son fantastique si beau.
Soudain sur l’eau morte et moisie
S’allume, comme un grand flambeau
Qui se lève sur un tombeau,
La lutte énorme et cramoisie.
Et, tandis que dans l’air sanglant,
Tout sort de l’ombre: moulin blanc,
Pont jauni, verte chènevrière,
On voit entre les nénuphars
Moitié rouges, moitié blafard
Flotter l’âme de la rivière
Les oubliettes
Dans les oubliettes de l’âme
Nous jetons le meilleur de nous
Qui languit lentement dissous
Par une moisissure infâme.
Pour le vice qui nous enflamme
Et pour le gain qui nous rend fous,
Dans les oubliettes de l’âme
Nous jetons le meilleur de nous.
Comme personne ne nous blâme,
Parfois, nous nous croyons absous,
Mais un cri nous vient d’en dessous :
C’est la conscience qui clame
Dans les oubliettes de l’âme
À quoi pense la Nuit ?
À quoi pense la Nuit, quand l'âme des marais
Monte dans les airs blancs sur tant de voix étranges,
Et qu'avec des sanglots qui font pleurer les anges
Le rossignol module au milieu des forêts ?...
À quoi pense la Nuit, lorsque le ver luisant
Allume dans les creux des frissons d'émeraude,
Quand murmure et parfum, comme un zéphyr qui rôde,
Traversent l'ombre vague où la tiédeur descend ?...
Elle songe en mouillant la terre de ses larmes
Qu'elle est plus belle, ayant le mystère des charmes,
Que le jour regorgeant de lumière et de bruit.
Et — ses grands yeux ouverts aux étoiles — la Nuit
Enivre de secret ses extases moroses,
Aspire avec longueur le magique des choses. »