ANONYME – Chanson de Roland


Chanson de Roland
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Roland a mis le cor devant sa bouche,

L'ajuste bien et sonne à grande force.

Hauts sont les monts et le son va très loin.

On l'entendait répondre à trente lieues.

Charles l'entend, toute sa troupe aussi.

L'empereur dit : « Nos hommes ont bataille. »

Et Ganelon lui répond au contraire :

« D'autre que vous ça paraîtrait mensonge. »

Avec douleur, avec si grand effort,

Le preux Roland a sonné de son cor

Que le sang clair lui jaillit par la bouche :

De son cerveau les tempes sont rompues.

Le bruit qu'il fait de son cor est très grand.

Charles, qui passe aux défilés, l'entend ;

Naymes l'entend ; tous les Français l'écoutent.

« J'entends le cor de Roland, dit le roi ;

« Il ne corna jamais qu'en combattant. »

Gane répond : « Il n'y a pas bataille. »

« Vous êtes vieux, et blanc, et tout fleuri ;

« Par tel discours vous semblez un enfant.

« Vous connaissez tout l'orgueil de Roland.

« C'est merveilleux que Dieu le souffre tant !

« Il assiégea Noples et sans votre agrément .

« Les Sarrasins sortirent de dedans ;

« Six de leurs chefs attaquèrent Roland :

« Il les occit et fit laver le champ ;

« Pour que leur sang ne fût plus apparent.

« Pour un seul lièvre il corne un jour durant !

« Avec ses pairs il sonne en plaisantant.

« Qui, sous le ciel, l'attaquerait au champ ?

« Chevauchez donc, pourquoi s'arrêter tant ?

« Terre-major est encore loin devant. »
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Le preux Roland a la bouche sanglante,

De son cerveau, les tempes sont rompues,

Il corne encore avec peine et douleur.

Charles l'entend et les Français l'entendent.

Le roi leur dit : « Ce cor a longue haleine. »

Nayme répond : « Roland est en détresse.

« Bataille y a ! Celui-ci qui voulait

« Vous le cacher, il l'a trahi, c'est sûr !

« Adoubez-vous ! criez votre devise !

« Et secourez votre noble famille !

« Bien l'entendez : Roland se désespère ! »
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Les monts sont hauts et ténébreux et grands,

Les vaux profonds, rapides les torrents :

Clairons sonnaient et derrière et devant ;

Ils répondaient tous au cor de Roland.

Le roi chevauche avec emportement,

Et les Français courroucés et dolents

Tous de leurs yeux pleuraient amèrement,

Et priaient Dieu de garantir Roland

Jusqu'ils viendront ensemble sur le champ.

Comme, avec lui, frapperaient-ils gaiement !

Mais à quoi bon ? C'est inutilement,

Trop ont tardé ! Ne peuvent être à temps !
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