DAUMAL, René
Perséphone c’est à dire double issue
…..
Et toi, toi qui ne voulais plus renaître, retourne aux maisons de souffrance, retourne aux chœurs souterrains sous les dalles, retourne à la ville sans ciel, refais ton chemin à l'envers.
La matrice qui t'engendra se retourne et te bave vivant à la face du monde, larve d'épouvante là-bas, et bientôt tu vas recommencer à te plaindre du ciel, de toi-même et de la vie, ta vomissure.
…..
Le mont analogue
…..
Je suis mort parce que je n'ai pas le désir
Je n'ai pas le désir parce que je crois posséder
Je crois posséder parce que je n'essaie pas de donner
Essayant de donner on voit qu'on n'a rien
Voyant qu'on a rien on essaie de se donner
Essayant de se donner on voit qu'on n'est rien
Voyant qu'on n'est rien on désire devenir
Désirant devenir on vit
…..
Jour, ô scandale !!
Un siècle s'est-il écoulé
depuis ce dernier sourire
qui flotta devant mes yeux,
depuis ce soupir
qui me noya dans un vertige creux ?
Ô brume et boule et nuit femelle,
le temps que j'ouvre la bouche,
disparue...Ô soleil vide,
lumière imbécile, non, tu n'éclaires rien;
où se cache-t-elle,
où rôde l'ombre de ses mains ?
Ciel menteur, avec tes pierres aériennes,
tu me dis :" C'est impossible",
tu ne sais dire que cela,
ô ciel, robe des suicidés.
Mais où flottent les mains d'ombre ?
N'est-ce pas, n'est-ce pas que le jour est menteur ?
Ah ! vous ne croyez pas , vous non plus, au soleil ?
Hélas ! bleu et blanc et vert sur les collines,
l'espace crie et rit de ma solitude.
La véritable nuit est dans le cœur des fleurs,
des grandes fleurs noires qui ne s'ouvrent pas.
Assassin d'or et de verre bleu,
tu me l'as dérobée le temps que je m'éveille,
il n"y a rien de plus que des couleurs,
des formes et des sons, un monde sans détours.
Mais mon œil en s'ouvrant est devenu aveugle,
d'un coup de paupière, ô mon océan,
toi qui noyais les rires du soleil,
adieu; oh ! pourquoi ce ciel inutile ?
Je ne crois plus à la lumière,
il ne reste rien, des îles éparpillées
s'en vont mourir dans les gouffres,
mais je ne sais plus me perdre,
et je pleure dans le faux jour.
La sueur panique
Des barques glissent
dans des cieux liquides
et les gencives des loups saignent
dans la nuit de velours vert.
Des larmes tissent
dans des yeux limpides
la toile où les regards se teignent
du jeune sang des fronts ouverts.
Le soleil crie
et se débat de tous ses rayons ;
croyez-vous qu'il appelle au secours ?
croyez-vous que le soleil meurt ?
Le sable crisse
au petit jour gelé
sous les pas d'un être invisible ;
croyez-vous qu'il vienne m'étrangler ?
je n'ai que mes mains pour parler,
des oiseaux gris et blancs
ont pris ma voix en s'envolant ;
et mes yeux roses sont aveugles,
mes mains s'agitent vers la forêt,
vers la nuit mouillée,
vers le sommeil vert ;
le soleil crie, croyez-vous qu'il se meure ?
j'entends la voix trop pure de l'eau ;
le soleil crie, c'est une ruse de guerre,
je lui ai tendu les mains,
ses grands bras dans le bleu vide
qui file vainement vers l'horizon,
ses grands bras frappent, frappent mon front,
mon sang coule rose comme mes yeux ;
ô loups, croyez-vous que je meurs ?
loups, inondez-moi de sang noir.
Nénie
Ne parlez plus des plaines avec cette tendresse
ne parlez plus des neiges, ne parlez plus du cœur
laissez s'échauffer les vins vénéneux
entre les paumes de la vie,
ne parlez plus des mers en remuant le cœur,
ne parlez plus des fleuves, laissez sécher vos lèvres
et laissez se glacer le sang des vieux désirs
entre vos mâchoires de mort,
ne parlez plus du ciel en palpitant des lèvres,
ne parlez plus du vent, laissez la nuit grossir,
laissez la nuit s'engraisser de vos souffles
auprès des trous de vos narines,
ne parlez plus du feu de votre voix d'esclave,
ne parlez plus de votre roi, l'ancien soleil,
laissez-le se coucher et s'éteindre en boue noire,
dans la vie courbe de vos crânes.
Ne parlez plus du cœur!
Votre langue est pourrie et votre souffle froid,
vos regards vides regardent la nuit,
des mondes morts accouplés emplissent vos yeux,
ne parlez plus dans l'air des hommes.
Essayez seulement de sourire,
vous entendrez gémir tous vos os calcinés,
le rire ondulera dans un ciel rapiécé,
et la toile du monde aura des sanglots sourds.
La musique des morts hoquette dans vos dents
— essayez de sourire aux fleurs ! —
vos pieds froids sont soudés à la terre sans yeux,
vous regardez partout de vos mille prunelles
mais nul ne voit vos yeux et vos yeux ne voient rien.
Le rire éclatera dans vos têtes sonores
— essayez de sourire aux oiseaux ! —
vos mains s'écailleront dans une odeur de plâtre,
riez à la poubelle et riez au balai.
L'espace même meurt avec les étincelles
que vous jetiez au vent de vie, et le temps meurt
en arrêtant vos vains sourires,
en figeant vos sanglots,
et vous gelez tout doucement dans les tourbières.
Un soleil inconnu brille dans la poussière
qui vole tout autour de vos cheveux séchés,
les vents de la folie portent à vos oreilles
une musique amère à vous briser les dents.
Des fleuves remontant à leurs sources jaillissent
de vos mains disloquées, de vos tempes trouées,
et le sol qui vous porte a des lueurs de soufre,
se creuse sous vos pieds et vous mord aux chevilles.
Votre rire a créé des étoiles nouvelles
que nous ne verrons pas,
et vous pouvez sourire à de nouveaux oiseaux
à des fleurs impossibles,
mais vous vivez derrière un mur de houille
et nos yeux saignent, nos prunelles se fendent
quand nous voulons vous voir
quand nous voulons vous voir avec des regards vides,
quand nous ne voulons plus sourire
ni sangloter dans le ventre céleste,
nos bras tournent grinçants dans les chambres de plomb.
La nuit de vérité nous coupe la parole.
Le serment de fidélité
J'ai brûlé mes champs de blé,
j'ai affamé ma Babylone,
j'ai mis le feu aux entrepôts
et j'ai coupé les aqueducs.
Si le soleil ne s'éteint pas sur mes États,
c'est que mon règne est d'un seul jour.
L'anti-roi de la nuit d'en-bas,
l'anti-moi de l'autre face,
il pense et meut un ciel noir crevé d'astres.
Il meurt, mon peuple, il se retourne dans sa peau,
il souffle vers le ciel ses bronches,
et ses orteils l'ancrent au sol.
Ses pieds sont les racines et ses poumons les branches
d'une forêt de famine, dès midi.
Mais j'ai tari la pluie et le bois se fait pierre,
les feuilles se font poussière,
mon peuple minéral poudre les grandes routes
et se rend tout entier à la boue, dès le soir.
Celui qui rit à l'opposé, ah! qu'il s'engraisse
de mes débris pulvérisés, qu'il s'illumine
de toute ma vie que j'ai chassée de mon royaume.
Celui qui rit, c'est l'Autre Roi, non, c'est la Reine,
c'est la Reine la Mère, elle règne à l'envers,
c'est pour elle cette dévastation,
pour elle, j'ai laissé retomber à la terre
les dieux qui s'embrassaient dans mes champs et mes
villes...
l’Abandon
Le soleil mou décevait les adieux,
les bateaux partaient comme des mouches,
les oiseaux se plissaient comme des bouches
et tombaient raides morts des cieux.
Quand je fus seul sous le ciel jaune,
dont mes yeux secs arrachaient des lambeaux,
je retournai mes poches
dans l’espoir d’y trouver un compagnon d’exil.
Il n’y avait rien,
rien que la poussière des routes,
rien que des routes de misère,
rien que des reines mortes clouées à des poutres.
…..
La consolatrice
Le silence aggravait la perte d’un ami,
les flammes des bougies se figeaient en fleurs blanches,
alors je me montrais du doigt dans les miroirs.
Des tiroirs s’ouvraient seuls au souffle du matin,
un soleil aplati se glissait dans ma main,
je faisais des calculs stupides en bavant.
Une femme entra, aux yeux blancs d’ivoire,
me tendit les bras et sourit, elle avait
à la place des dents des morceaux de chair rouge.
Le prophète
extrait 1
L’enfant qui parlait au nom du soleil
allait par les rues du village mort,
les rats couraient vers ses pieds nus
lorsqu’il s’arrêtait aux carrefours.
L’enfant appela d’une voix pleine de galères,
de voiles blanches et de poissons volants,
et les hommes changés en pierre
s’éveillèrent en grinçant.
C’était l’aube annoncée par les flèches sifflantes
des joyeux archers du voisinage,
les hommes venaient, chacun portant sa nuit
comme on porte une ombrelle.
Ils s’accroupirent autour de l’enfant,
et leurs gros yeux rouges riaient,
et leurs larges bouches crachaient
du sable à travers les dents.
Le grand jour des morts
Extrait 3
Tu me faisais croire que ton nom maudit
c'était le mien, l'imprononçable,
que ta face, c'était ma face, ma prison,
que ma peau détestée vivait de ta vie,
mais je t'ai vu : tu es un autre,
tu peux bien me tourmenter à jamais,
tu peux m'écraser dans des charniers
sous les cadavres de toutes les races disparues,
tu peux me brûler dans la graisse des dieux morts,
je sais que tu n'es pas moi-même,
tu ne peux rien sur le feu plus ardent que le tien,
le feu, le cri de mon refus
d'être rien.