LENOIR, Joseph
Chant de Mort d’un Huron
- Légende canadienne
Sur la grande montagne aux ombres solitaires,
Un jour il avait fui le chasseur ;
Son œil était de feu, comme l’œil de ses pères ;
Mais son ombre roulait avec plus de fureur !
Où guide-t-il ses pas ? quelle rage l’anime ?
Le bronze de son front paraît étinceler !
Est-ce un sombre guerrier ou bien une victime
Qu’aux mânes de son frère il brûle d’immoler ?
Il est là près du chêne : une hache sanglante
Soutient ses larges bras l’un dans l’autre enlacés ;
On dit qu’il se calma, que sa lèvre tremblante
Laissa même échapper ces mots qu’il a tracés :
« Chêne de la grande colline,
« Arbre chéri de mes aïeux,
« Écoute ! qu’à ma voix ton oreille s’incline,
« Je suis venu te faire mes adieux !
« Il m’avait dit : tes pieds ont perdu leur vitesse
« À quoi te peuvent-ils servir ?
« Ta hache est là qui pleure et maudit ta vieillesse :
« Elle sent que tu vas mourir !
« Pourtant je te l’apporte : à mon heure dernière,
« C’est le seul don que je puisse t’offrir !
« Je te la donne, à toi, mais fais que sa paupière
« Ne m’aperçoive point mourir !
« Quand de sa pesante massue
« Athaenzic aura broyé mes os,
« Pour te fertiliser j’ébranlerai ma nue,
« Qui te fera tomber ses eaux !
« Si tu vois l’orignal au pied toujours rapide
« Près de ton feuillage bondir,
« Dis, pour le consoler, qu’il marche moins timide,
« Parce que tu m’as vu mourir !
« Chêne de la grande colline,
« Arbre chéri de mes aïeux,
« Écoute ! qu’à ma voix ton oreille s’incline
« Je suis venu te faire mes adieux ! »
On dit qu’ayant chanté d’une voix bien sonore,
Le vieillard s’arrêta pour essuyer ses yeux,
Que ses larmes coulaient comme il en coule encore
Quand on perd un bonheur qui n’a pu rendre heureux !
On dit même qu’après, sur la grande montagne,
L’ombre du vieux guerrier parut souvent,
Qu’on entendit gémir, la nuit, au bruit du vent,
Comme une voix de mort qu’une lyre accompagne !
Folie, honte, déshonneur
I.
Holà! vous qui passez, quand les cieux se font sombres.
Près de mon noir logis, là-bas, dans les décombres,
Jeunes hommes, voués aux douleurs de l’affront,
Arrêtez-y vos pas! Peu sûres sont les ombres
À qui n’a pour tout toit que la peau de son front!
Il ne fait jamais bon défier la tempête!
Elle gronde : écoutez! c’est comme un chant de fête,
De fête échevelée, où la voix du tambour,
Absorbe sons joyeux, sistre, harpe, trompette,
Soupirs, bruissements de longs baisers d’amour!
Entrez donc! Cette nuit promet d’être orageuse :
Voyez, son dôme gris se sillonne, se creuse,
Sous le carreau blafard de la foudre en courroux!
Entrez! mon seuil est noir, et sa forme hideuse
Comme un manteau de fer, vous protégera tous!
J’ai pour vous délasser des regards de la haine,
Des filles aux doux yeux, à la lèvre sereine;
Leurs corps sont blancs et purs; et sous leurs blonds cheveux,
Coulant en mèches d’or, sur des seins de sirène,
Elles laissent glisser un bras aventureux!
Car vous avez péché contre nous, jeunes hommes,
Quand, posant votre pied, sur le sol où nous sommes,
Vous avez dit : « Beauté, vierge au limpide coeur,
« Donne-nous du bonheur, afin que de doux sommes,
« Dans nos corps alanguis ramènent la vigueur! »
Et vous avez puisé dans l’urne du délire!
Et des baisers de feu, navrants, comme un martyre,
Des stygmates honteux soudain vous ont couverts!
Car ces lèvres de marbre, où courait le sourire,
Étaient, n’en doutez pas, pleines de sucs amers!
Ne cherchez donc jamais à confier vos vies
Aux mains, aux lourds regards de ces pâles harpies,
Que Satan, pour vous perdre, ameute contre vous!
Arrêtez-vous ici! ces colombes ternies
Ont, à leurs doigts crochus, des ongles de hiboux!
Entrez donc! cette nuit promet d’être orageuse!
Voyez, son dôme gris se sillonne, se creuse,
Sous le carreau blafard de la foudre en courroux!
Entrez! mon seuil est noir, et sa forme hideuse
Comme un manteau de fer, vous protégera tous!
II.
Mensonge! mensonge exécrable!
Celui qui leur parlait ainsi,
Sur une face abominable,
Portait le sceau d’un long souci!
Pour se les rendre plus propices
Il leur dit les grandes délices,
Que n’avait certes pas son bouge de malheur!
Or, quand l’orgie ardente et folle
Eût fait taire chants et parole,
Pour un métal infâme, il leur donna sa soeur!
III.
Sans coeur, sans âme, hébétés par le crime,
Hommes maudits, quand vint l’aube du jour,
D’un pied furtif, ils quittèrent l’abîme,
Où les jetait un monstrueux amour!
L’or leur manquait; leurs faces étaient pâles!
Il leur fallait pourtant de l’or, des voluptés!
Ils durent mendier : leurs prières brutales
Ne calmèrent en rien leurs désirs effrontés!
Leurs poignards leur restaient : c’était une ressource!
Eh bien! se dirent-ils, arrêtons dans leur course,
Le pèlerin tardif, ou l’obscur voyageur!
Traquons-les, dans la nuit! l’or d’une riche bourse,
Tombant entre nos mains, nous portera bonheur!
IV.
Un jour, ceux qui passaient, dirent en voyant pendre
Trois cadavres puants, aux clous d’un noir gibet :
« Qu’est-ce donc, ô bourreau! quoi! ne peux-tu pas rendre
« Les suprêmes devoirs à cette immonde cendre? »
Le bourreau répondit : « Si le roi le permet! »