HARAUCOURT, Edmond
Calymanthe
A Octave Suzanne
Calymanthe, l’enfer te ronge, Calymanthe,
L’enfer intérieur de ton propre désir…
Ah ! Sisyphe des sens, Tantale du plaisir,
Corps martyr et bourreau qui souffre et qui tourmente !
Tends tes bras, tends tes seins, fauve et lugubre amante !
Dis sous quels flancs tes flancs ont rêvé de gésir,
Dis vers quelle caresse impossible à saisir
Tu tords les spasmes veufs de ta lèvre écumante !
Bacchus seul a dompté les tigres d’Ancyra :
Tu peux hurler vers eux, rien ne te répondra.
Meurs donc ! Il faut mourir d’avoir voulu trop vivre !
Brusque, elle s’est levée, elle entend ; fou d’espoir,
Son cœur tremble, le sang tourne dans sa tête ivre :
La voix des lions roux gronde dans l’or du soir.
Ouvre
Ouvre les yeux, réveille-toi
Ouvre l’oreille, ouvre ta porte
C’est l’amour qui sonne et c’est moi
Qui te l’apporte
Ouvre la fenêtre à tes seins
Ouvre ton corsage de soie
Ouvre ta robe sur tes reins
Ouvre qu’on voie
Ouvre à mon coeur ton coeur trop plein
J'irai le boire sur ta bouche
Ouvre ta chemise de lin
Ouvre qu'on touche
Ouvre les plis de tes rideaux
Ouvre ton lit que je t'y traîne
Il va s’échauffer sous ton dos
Ouvre l’arène
Ouvre tes bras pour m’enlacer
Ouvre tes seins que je m’y pose
Ouvre aux fureurs de mon baiser
Ta lèvre rose
Ouvre tes jambes : prends mes flancs
Dans ces rondeurs blanches et lisses
Ouvre tes deux genoux tremblants
Ouvre tes cuisses
Ouvre tout ce qu’on peut ouvrir
Dans les chauds trésors de ton ventre
J’inonderai sans me tarir
L’abîme où j’entre
Ouvre les yeux, réveille-toi
Ouvre l’oreille, ouvre ta porte
C’est l’amour qui sonne et c’est moi
Qui te l’apporte
Adultère
Je t’apprendrai l’amour stérile, et le secret
Des bonheurs trop savants qu’ignore l’hyménée :
Je veux t’ouvrir un monde où nul ne t’a menée,
Si beau qu’on n’en revient qu’en pleurant de regret.
Oh ! l’art du long baiser qui court, profond, discret,
Sur le ravissement de la chair étonnée !
L’art que ne savaient point ceux qui t’ont profanée
Sur la couche brutale où ton cœur s’enivrait…
Viens ! Ce que tu rêvas sans le pouvoir connaître,
Je te le donnerai ! Tu te sentiras naître ;
Tes grands yeux dessillés verront dans l’infini :
Et tous deux, emportés sur un rêve sublime,
Nous aurons, pour bénir encor l’amour béni,
L’immense volupté qu’on appelle le crime !
Si je ne t’aimais pas
Si je ne t’aimais pas, la mer serait moins belle,
Chère absente, et mon coeur, ivre d’immensité,
N’entendrait pas la voix des astres qui m’appelle
Si tu n’était à mon côté.
Si je ne t’aimais pas, la nuit serait moins blonde,
Chère absente, et c’est toi qui lui fais sa clarté,
Mais je ne verrai rien de la nuit ni du monde
Si tu marchais à mon côté.
Vierges mortes
Oeillets blancs, lilas blancs et violettes blanches:
Et le char Sépulcral s'en va vers les caveaux,
Sinistre et chaste, au pas rythmique des chevaux
Qui bercent les grands draps déployés sur leurs hanches..
O vierges, d'autres mai fleuriront les pervenches
Les baisers écloront dans les avril nouveaux
Et la brise des juin grisera les cerveaux!
Mais vos corps sans désirs dormiront sous les planches,
Toujours! Et c'est fini sans être commencé...
Votre avenir d'hier a mille ans de passé:
Vos coeurs immaculés sont morts avant de naître!
Oeillets blancs, lilas blancs et violettes blanches.
Rondel de l’adieu
Partir, c’est mourir un peu
C’est mourir à ce qu’on aime.
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu.
C'est toujours le deuil d'un vœu,
Le dernier vers d'un poème ;
Partir, c'est mourir un peu.
Et l’on part, et c’est un jeu
Et jusqu’à l’adieu suprême,
C’est son âme que l’on sème,
Que l’on sème à chaque adieu.
Partir, c’est mourir un peu…
Sonnet pointu
Reviens sur moi ! Je sens ton amour qui se dresse ;
Viens, j'ouvre mon désir au tien, mon jeune amant.
Là... Tiens... Doucement... Va plus doucement...
Je sens, tout au fond, ta chair qui me presse.
Rythme bien ton ardente caresse
Au gré de mon balancement,
O mon âme Lentement,
Prolongeons l'instant d'ivresse.
Là... Vite ! Plus longtemps !
Je fonds ! Attends,
Oui, je t'adore...
Va.!.va ! va.!
Encore.
Ha !
Les plus beaux vers
Les plus beaux vers sont ceux qu’on n’écrira jamais,
Fleurs de rêves dont l’âme a respiré l’arôme,
Lueurs d’un infini, sourires d’un fantôme,
Voix des plaines que l’on entend sur les sommets.
L’intraduisible espace est hanté de poèmes,
Mystérieux exil, Eden, jardin sacré
Où le péché de l’art n’a jamais pénétré,
Mais que tu pourras voir quelque jour, si tu m’aimes.
Quelque soir où l’amour fondra nos deux esprits,
En silence, dans un silence qui se pâme,
Viens pencher longuement ton âme sur mon âme
Pour y lire les vers que je n’ai pas écrits...
Seul
Il pleut sur la mer, lentement :
La mer crépite sous la pluie ;
Le ciel gris tombe en s’endormant
Vers la mer grise qui s’ennuie.
La vague et la vague qui suit
S’assoupissent comme les brises ;
Nulle brise et nul autre bruit
Que le frisson des gouttes grises.
Les gouttes pâles, en tombant,
Font des bulles sur les flots pâles
Où l’on croit voir nager un banc
De perles mortes et d’opales.
Suspendue au bord de l’embrun,
Comme un rêve qui se balance,
La voilure d’un bateau brun
Se désole au fond du silence.
Sur la mer, sur toute la mer,
Et par delà l’ombre des îles,
Il pleut des tristesses d’hiver
Et des renoncements dociles.
Tout un infini de douleurs
Tombe sur la vie embrumée :
Dans les larmes du monde en pleurs
Mon cœur pleure la bien-aimée.
La chanson d'Ulysse
Circé, toute ma chair ! Pénélope, ô mon âme !
L'amour brûlant et l'amour doux,
L'eau qui me rafraîchit et le feu qui m'enflamme :
Les deux moitiés de moi, c'est vous !
Pénélope et Circé, ma force et ma faiblesse,
Vous êtes mes deux volontés
Et votre double amour qui caresse et qui blesse,
Brise le coeur où vous luttez !
Ma Pénélope et ma Circé, mes deux aimées,
Vous êtes tout ce qui m'est cher,
Et je vous sens courir, ainsi que deux armées,
À travers mon âme et ma chair !
L’Ame nue
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Le peu de foi que j'ai, ma raison me l'enlève;
Tout ce que j'ai de beau, ma raison me le prend...
Oh! sois fou si tu peux, pauvre être, atome errant!
Tous nos paradis morts, l'extase nous les rend :
Rêve et monte, plus haut toujours, plus haut sans trêve,
Et tu reconnaîtras que ton rêve était grand
Si tu te sens petit au sortir de ton rêve!
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