C É SAIRE, Aimé
Oiseaux
L’exil s’en va ainsi dans la mangeoire des astres
portant de malhabiles grains aux oiseaux nés du temps
qui jamais ne s’endorment jamais
aux espaces fertiles des enfances remuées
Soleil et eau
Mon eau n’écoute pas
mon eau chante comme un secret
Mon eau ne chante pas
mon eau exulte comme un secret
Mon eau travaille
et à travers tout roseau exulte
jusqu’au lait du rire
Mon eau est un petit enfant
mon eau est un sourd
mon eau est un géant qui te tient sur la poitrine un lion
ô vin
vaste immense
par le basilic de ton regard complice et somptueux
En vérité…
la pierre qui s’émiette en mottes
le désert qui se blute en blé
le jour qui s’épelle en oiseaux
le forçat l’esclave le paria
la stature épanouie harmonique
la nuit fécondée la fin de la faim
du crachat sur la face
et cette histoire parmi laquelle je marche mieux que
durant le jour
la nuit en feu la nuit déliée le songe forcé
le feu qui de l’eau nous redonne
l’horizon outrageux bien sûr
un enfant entrouvrira la porte…
Et les chiens se taisaient
Tout s’efface, tout s’écroule
il ne m’importe plus que mes ciels mémorés
il ne me reste plus qu’un escalier à descendre marche par marche
il ne me reste plus qu’une petite rose de tison volé
qu’un fumet de femmes nues
qu’un pays d’explosions fabuleuses
qu’un éclat de rire de banquise
qu’un collier de perles désespérées
qu’un calendrier désuet
que le goût, le vertige, le luxe du sacrilège capiteux.
Rois mages
yeux protégés par trois rangs de paupières gaufrées
sel des midis gris
distillant ronce par ronce un maigre chemin
une piste sauvage
gisement des regrets et des attentes
fantômes pris dans les cercles fous des rochers de sang noir
j’ai soif
oh, comme j’ai soif
en quête de paix et de lumière verdie
j’ai plongé toute la saison des perles
aux égouts
sans rien voir
brûlant
Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile
Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile
Que je n’entende ni les rires, ni les cris, les yeux fixés sur cette ville que je prophétise, belle,
Donnez-moi la foi sauvage du sorcier
Donnez à mes mains puissance de modeler
Donnez à mon âme la trempe de l’épée.
Je ne me dérobe point.
Faites de ma tête une proue et de moi même, mon coeur, ne faites ni un père,
ni un frère,
ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils,
ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.
Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie
Comme le point à l’allongée du bras !
Faites-moi commissaire de son sang.
Faites-moi dépositaire de son ressentiment
Faites de moi un homme de terminaison
Faites de moi un homme d’initiation
Faites de moi un homme de recueillement mais faites aussi de moi un homme d’encensement.
Faites de moi l’exécuteur de ces oeuvres hautes.
Voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme.
Mais les faisant, mon coeur, préservez-moi de toute haine…
Magique
avec une lèche de ciel sur un quignon de terre
vous bêtes qui sifflez sur le visage de cette morte
vous libres fougères parmi les roches assassines
à l’extrême de l’île parmi les conques trop vastes pour leur destin
lorsque midi colle ses mauvais timbres sur les plis tempétueux de la louve
hors cadre de science nulle
et la bouche aux parois du nid suffète des îles englouties comme un sou
avec une lèche de ciel sur un quignon de terre
prophète des îles oubliées comme un sou
sans sommeil sans veille sans doigt sans palancre
quand la tornade passe rongeur du pain des cases
vous bêtes qui sifflez sur le visage de cette morte
la belle once de la luxure et la coquille operculée
mol glissement des grains de l’été que nous fûmes
belles chairs à transpercer du trident des aras
lorsque les étoiles chancelières de cinq branches
trèfles au ciel comme des gouttes de lait chu
réajustent un dieu noir mal né de son tonnerre