NAVARRE, Marguerite de



Stances amoureuses


Nos deux corps sont en toi, je ne sers plus que d'ombre;

Nos amis sont à toi, je ne sers que de nombre.

Las ! puisque tu es tout et que je ne suis rien,

Je n'ai rien, ne t'ayant ou j'ai tout au contraire.

Avoir et tout et rien, comment se peut-il faire ?

C'est que j'ai tous les maux et je n'ai point de bien.


J'ai un ciel de désir, un monde de tristesse,

Un univers de maux, mille feux de détresse,

Un Etna de sanglots et une mer de pleurs.

J'ai mille jours d'ennuis, mille nuits de disgrâce,

Un printemps d'espérance et un hiver de glace ;

De soupirs un automne, un été de chaleurs.


Clair soleil de mes yeux, si je n'ai ta lumière,

Une aveugle nuée ennuite ma paupière,

Une pluie de pleurs découle de mes yeux.

Les clairs éclairs d'Amour, les éclats de sa foudre,

Entrefendent mes nuits et m'écrasent en poudre :

Quand j'entonne mes cris, lors j'étonne les cieux.


…..

Belle âme de mon corps, bel esprit de mon âme,

Flamme de mon esprit et chaleur de ma flamme,

J'envie à tous les vifs, j'envie à tous les morts.

Ma vie, si tu vis, ne peut être ravie,

Vu que ta vie est plus la vie de ma vie,

Que ma vie n'est pas la vie de mon corps !


Je vis par et pour toi, ainsi que pour moi-même ;

Je vis par et pour moi, ainsi que pour toi-même ;

Nous n'aurons qu'une vie et n'aurons qu'un trépas.

Je ne veux pas ta mort, je désire la mienne,

Mais ma mort est ta mort et ma vie est la tienne ;

Ainsi je veux mourir, et je ne le veux pas !...