CENDRARS, Blaise
Tu es plus belle que le ciel et la mer
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime
Iles
Iles
Iles
Iles où l’on ne prendra jamais terre
Iles où l’on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car
je voudrais bien aller jusqu’à vous
Les Pâques à New-York
.....
Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire
Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.
Déjà un bruit immense retentit sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.
Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.
La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées.
Une foule enfiévrée par les sueurs de l’or
Se bouscule et s’engouffre dans de longs corridors.
Trouble, dans le fouillis empanaché des toits,
Le soleil, c’est votre Face souillée par les crachats
.....
La prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France
.....
Tous les visages entrevus dans les gares
Toutes les horloges
L’heure de Paris l’heure de Berlin l’heure de Saint-Pétersbourg et l’heure de toutes les gares
Et à Oufa, le visage ensanglanté du canonnier
Et le cadran bêtement lumineux de Grodno
Et l’avance perpétuelle du train
Tous les matins on met les montres à l’heure
Le train avance et le soleil retarde
Rien n’y fait, j’entends les cloches sonores
Le gros bourdon de Notre-Dame
La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Barthélemy
Les carillons rouillés de Bruges-la-Morte
Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York
Les campanes de Venise
Et les cloches de Moscou, l’horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j’étais dans un bureau
Et mes souvenirs
Le train tonne sur les plaques tournantes
Le train roule
Un gramophone grasseye une marche tzigane
Et le monde, comme l’horloge du quartier juif de Prague, tourne éperdument à rebours.
Effeuille la rose des vents
Voici que bruissent les orages déchaînés
Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés
Bilboquets diaboliques
Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais
D’autres se perdent en route
Les chefs de gare jouent aux échecs
Tric-trac
Billard
Caramboles
Paraboles
La voie ferrée est une nouvelle géométrie
Syracuse
Archimède
Et les soldats qui l’égorgèrent
Et les galères
Et les vaisseaux
Et les engins prodigieux qu’il inventa
Et toutes les tueries
L’histoire antique
L’histoire moderne
Les tourbillons
Les naufrages
Même celui du Titanic que j’ai lu dans le journal
Autant d’images-associations que je ne peux pas développer dans mes vers
Car je suis encore fort mauvais poète
Car l’univers me déborde
Car j’ai négligé de m’assurer contre les accidents de chemin de fer
Car je ne sais pas aller jusqu’au bout
Et j’ai peur.
.....
Du fond de mon coeur des larmes me viennent
Si je pense, Amour, à ma maîtresse;
Elle n'est qu'une enfant que je trouvai ainsi
Pâle, immaculée au fond d'un bordel.
Ce n'est qu'une enfant, blonde rieuse et triste.
Elle ne sourit pas et ne pleure jamais;
Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire
Tremble un doux Lys d'argent, la fleur du poète.
Elle est douce et muette, sans aucun reproche,
avec un long tressaillement à votre approche;
Mais quand moi je lui viens, de ci, de là, de fête,
Elle fait un pas, puis ferme les yeux- et fait un pas.
Car elle est mon amour et les autres femmes
N'ont que des robes d'or sur de grands corps de flammes,
Ma pauvre amie est si esseulée,
Elle est toute nue, n'a pas de corps -elle est trop pauvre.
Elle n'est qu'une fleur candide, fluette,
La fleur du poète, un pauvre lys d'argent,
Tout froid, tout seul, et déjà si fâné‚
Que les larmes me viennent si je pense à son coeur.
Et cette nuit est pareille à cent mille autres quand un train file dans la nuit
-Les comètes tombent-
Et que l'homme et la femme, même jeunes, s'amusent à faire l'amour.
Le ciel est comme la tente déchirée d un cirque pauvre dans un petit village de pêcheurs
En Flandres
Le soleil est un fameux quinquet
Et tout en haut d un trapèze une femme fait la lune.
La clarinette le piston une flûte aigre et un mauvais tambour
Et voici mon berceau
Mon berceau
.....
"Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre"
J'ai pitié, j'ai pitié, viens vers moi je vais te conter une histoire
Viens dans mon lit
Viens sur mon coeur
Je vais te conter une histoire...
Oh viens! viens!
Au Fidji règne l'éternel printemps
La paresse
L'amour pâme les couples dans l'herbe haute et la chaude syphilis rôde sous les bananiers
Viens dans les îles perdues du Pacifique!
Elles ont nom du Phénix, des Marquises
Bornéo et Java
Et Célèbes à la forme d'un chat
Nous ne pouvons pas aller au Japon
Viens au Mexique
Sur les hauts plateaux les tulipiers fleurissent
Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil
On dirait la palette et le pinceau d'un peintre
Des couleurs étourdissantes comme des gongs,
Rousseau y a été
Il y a ébloui sa vie
C'est la pays des oiseaux
L'oiseau du paradis, l'oiseau-lyre
Le toucan, l'oiseau moqueur
Et le colibri niche au coeur des lys noirs
Viens!
Nous nous aimerons dans les ruines majestueuses d'un temple aztèque
Tu seras mon idole
Une idole bariolée enfantine un peu laide et bizarrement étrange
Oh viens!
Si tu veux, nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays des mille lacs,
Les nuits y sont démesurément longues
L'ancêtre préhistorique aura peur de mon moteur
J'atterrirai
Et je construirai un hangar pour mon avion avec les os fossiles de mammouth
Le feu primitif réchauffera notre pauvre amour
Samowar
Et nous nous aimerons bien bourgeoisement près du pôle
Oh viens!
…..
Elle dort
Et de toutes les heures du monde elle n'en pas gobé une seule
Tous les visages entrevus dans les gares
Toutes les horloges
L'heure de Paris l'heure de Berlin l'heure de Saint-Pétersbourg et l'heure de toutes les gares
Et à Oufa le visage ensanglanté du canonnier
Et le cadrant bêtement lumineux de Grodno
Et l'avance perpétuelle du train
Tous les matins on met les montres à l'heure
Le train avance et le soleil retarde
Rien n'y fait, j'entends les cloches sonores
Le gros bourdon de Notre-Dame
La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Saint-Barthélemy
Les carillons rouillés de Bruges-La-Morte
Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York
Les campagnes de Venise
Et les cloches de Moscou, l'horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j'étais dans un bureau
Et mes souvenirs
Le train tonne sur les plaques tournantes
Le train roule
Un gramophone grasseye une marche tzigane
Et le monde comme l'horloge du quartier juif de Prague
tourne éperdument à rebours
…..
J'ai vu dans les lazarets les plaies béantes les blessures qui saignaient à pleines orgues
Et les membres amputés dansaient autour ou s'envolaient dans l'air rauque
L'incendie était sur toutes les faces dans tous les coeurs
Des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres
Et sous la pression de la peur les regards crevaient comme des abcès
Dans toutes les gares on brûlait tous les wagons
Et j'ai vu
J'ai vu des trains de soixante locomotives qui s'enfuyaient à toute vapeur pourchassés par les horizons en rut et des bandes de corbeaux qui s'envolaient désespérément après
Disparaître
Dans la direction de Port-Arthur
…..
Couchers de soleil
Tout le monde parle des couchers de soleil
Tous les voyageurs sont d’accord pour parler des couchers de soleil dans ces parages
Il y a plein de bouquins où l’on ne décrit que les couchers de soleil
Les couchers de soleil des tropiques
Oui c’est vrai c’est splendide
Mais je préfère de beaucoup les levers de soleil
L’aube
Je n’en rate pas une
Je suis toujours sur le pont
À poils
Et je suis toujours seul à les admirer
Mais je ne vais pas les décrire les aubes
Je vais les garder pour moi seul
Poème élastique 3
Les fenêtres de ma poésie sont grand’ouvertes sur les boulevards et dans ses vitrines
Brillent
Les pierreries de la lumière
Écoute les violons des limousines et les xylophones des linotypes
Le pocheur se lave dans l’essuie-main du ciel
Tout est taches de couleur
Et les chapeaux des femmes qui passent sont des comètes dans l’incendie du soir…