HOUELLEBECQ, Michel
Je suis comme un enfant qui n’a plus droit aux larmes,
Je suis comme un enfant qui n’a plus droit aux larmes,
Conduis-moi au pays où vivent les braves gens
Conduis-moi dans la nuit, entoure-moi d’un charme,
Je voudrais rencontrer des êtres différents.
Je porte au fond de moi une ancienne espérance
Comme ces vieillards noirs, princes dans leur pays,
Qui balaient le métro avec indifférence ;
Comme moi ils sont seuls, comme moi ils sourient.
Chômage
Je traverse la ville dont je n’attends plus rien
Au milieu d’êtres humains toujours renouvelés
Je le connais par coeur, ce métro aérien ;
Il s’écoule des jours sans que je puisse parler.
Oh ! ces après-midi, revenant du chômage
Repensant au loyer, méditation morose,
On a beau ne pas vivre, on prend quand même de l’âge
Et rien ne change à rien, ni l’été, ni les choses.
Au bout de quelques mois on passe en fin de droits
Et l’automne revient, lent comme une gangrène ;
L’argent devient la seule idée, la seule loi,
On est vraiment tout seul. Et on traîne, et on traîne…
Les autres continuent leur danse existentielle,
Vous êtes protégés par un mur transparent ;
L’hiver est revenu. Leur vie semble réelle.
Peut-être, quelque part, l’avenir vous attend.
La Possibilité d'une île
Ma vie, ma vie, ma très ancienne
Mon premier voeu mal refermé
Mon premier amour infirmé,
Il a fallu que tu reviennes.
Il a fallu que je connaisse
Ce que la vie a de meilleur,
Quand deux corps jouent de leur bonheur
Et sans fin s'unissent et renaissent.
Entré en dépendance entière,
Je sais le tremblement de l'être
L'hésitation à disparaître,
Le soleil qui frappe en lisière
Et l'amour, où tout est facile,
Où tout est donné dans l'instant ;
Il existe au milieu du temps
La possibilité d'une île.
Configuration du dernier virage
Je n’ai plus d’intérieur
De passion, de chaleur ;
Bientôt je me résume
À mon propre volume.
Vient toujours un moment où on rationalise,
Et toujours un matin au futur aboli.
Le chemin se résume à une étendue grise
Sans saveur et sans joie, calmement démolie.
Le chant de Marie,
Tant de coeurs ont battu, déjà, sur cette terre
Et les petits objets blottis dans leurs armoires
Racontent la sinistre et lamentable histoire
De ceux qui n'ont pas eu d'amour sur cette terre.
La petite vaisselle des vieux célibataires,
Les couverts ébréchés de la veuve de guerre
Mon dieu ! Et les mouchoirs des vieilles demoiselles
L'intérieur des armoires, que la vie est cruelle !
Les objets bien rangés et la vie toute vide
Et les courses du soir, restes d'épicerie
Télé sans regarder, repas sans appétit
Enfin la maladie, qui rend tout plus sordide,
Et le corps fatigué qui se mêle à la terre,
Le corps jamais aimé qui s'éteint sans mystère.
Novembre
Je suis venu dans le café au bord du fleuve,
Un peu vieilli un peu blasé
J'ai mal dormi dans un hôtel aux chambres neuves
je n'ai pas pu me reposer.
Il y a des couples et des enfants qui marchent ensemble
Dans la paix de l'après-midi
Il y a même des jeunes filles qui te ressemblent
Dans les premiers pas de leur vie.
Je te revois dans la lumière,
Dans les caresses du soleil
Tu m'as donné la vie entière
Et ses merveilles.
Je suis venu dans le jardin où tu reposes
Environnée par le silence
Le ciel tombait et le ciel se couvrait de rose,
Et j'ai eu mal de ton absence.
Non réconcilié
Dans un ciné porno, des retraités poussifs
Contemplaient, sans y croire,
Les ébats mal filmés de deux couples lascifs;
Il n’y avait pas d’histoire.
Et voilà, me disais-je, le visage de l’amour,
L’authentique visage:
Certains sont séduisants ; ils séduisent toujours,
Et les autres surnagent.
Il n’y a pas de destin ni de fidélité,
Mais des corps qui s’attirent;
Sans nul attachement et surtout sans pitié,
On joue et on déchire.
Certains sont séduisants et partant très aimés ;
Ils connaîtront l’orgasme.
Mais tant d’autres sont las et n’ont rien à cacher,
Même plus de fantasmes;
Juste une solitude aggravée par la joie
Impudique des femmes
Midi
La rue Surcouf s’étend, pluvieuse;
Au loin, un charcutier-traiteur.
Une Américaine amoureuse
Ecrit à l’élu de son coeur.
La vie s’écoule à petits coups;
Les humains sous leur parapluie
Cherchent une porte de sortie
Entre la panique et l’ennui
(Mégots écrasés dans la boue).
Existence à basse altitude,
Mouvements lents d’un bulldozer;
J’ai vécu un bref interlude
Dans le café soudain désert.
Isolement »
Où est-ce que je suis ?
Qui êtes-vous ?
Qu’est-ce que je fais ici ?
Emmenez-moi partout,
Partout mais pas ici,
Faites-moi oublier
Tout ce que j’ai été
Inventez mon passé,
Donnez sens à la nuit.
Inventez le soleil
Et l’aurore apaisée
Non je n’ai pas sommeil,
Je vais vous embrasser
Êtes-vous mon amie ?
Répondez, répondez.
Où est-ce que je suis ?
Il y a le feu partout
Je n’entends plus de bruit,
Je suis peut-être fou.
Il faut que je m’étende
Et que je dorme un peu,
Il faudrait que je tente
De nettoyer mes yeux.
Dites-moi qui je suis
Regardez-les, mes yeux
Êtes-vous mon amie ?
Me rendrez-vous heureux ?
La nuit n’est pas finie
Et la nuit est en feu
Où est le paradis ?
Où sont passés les dieux ?
Êtes-vous mon amie ?