GU É RIN, Maurice de
La Bacchante
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Voilà la montagne dépouillée des choeurs qui parcouraient ses sommets ; les prêtresses, les flambeaux, les clameurs divines sont retombés dans les vallées ; la fête se dissipe, les mystères sont rentrés dans le sein des dieux. Je suis la plus jeune des bacchantes qui se sont élevées sur le mont Cithéron. Les choeurs ne m'avaient pas encore transportée sur les cimes, car les rites sacrés écartaient ma jeunesse et m'ordonnaient de combler la mesure des temps qu'il faut offrir pour entrer dans l'action des solennités. Enfin les Heures, ces secrètes nourrices, mais qui emploient tant de durée à nous rendre propres pour les dieux, m'ont placée parmi les bacchantes, et je sors aujourd'hui des premiers mystères qui m'aient enveloppée.
Tandis que je recueillais les années réclamées pour les rites, j'étais semblable aux jeunes pêcheurs qui vivent sur le bord des mers. A la cime d'un rocher, ils paraissent quelque temps, les bras tendus vers les eaux et le corps incliné, comme un dieu prêt à se replonger ; mais leur âme balance dans leur sein mortel et retient leur penchant. Enfin ils se précipitent, et quelques-uns sont racontés qui revinrent couronnés sur les flots. Ainsi je suis demeurée longtemps suspendue sur les mystères ; ainsi je m'y suis abandonnée et ma tête a reparu couronnée et ruisselante.
Bacchus, jeunesse éternelle, dieu profond et partout répandu, j'ai de bonne heure reconnu tes marques dans mon sein et rassemblé tous mes soins pour les dévouer à ta divinité. Je me portai un jour vers le lever du soleil, dans le temps où les rayons de ce dieu comblent la maturité des fruits et ajoutent la dernière vertu aux ouvrages de la terre. Je gagnai les collines pour m'offrir à ses traits et devant déplier mes cheveux à la première issue de sa lumière au-dessus de l'horizon ; car on enseigne que la chevelure inondée par les flammes matinales en devient plus féconde et reçoit une beauté qui l'égale à la chevelure de Diane. Mes yeux, en sortant, avaient surpris les extrémités des ombres qui redescendaient sous le pôle. Quelques signes célestes, lents à accomplir leur déclin vers les flots, marquaient encore le ciel presque abandonné, et le silence laissé par la nuit occupait les campagnes. Mais ainsi que dans les fraîches vallées de la Thessalie, les fleuves ont coutume d'élever une haleine semblable aux nuages, et qui se repose sur eux-mêmes, la vertu de ton souffle, ô Bacchus ! s'était exhalée du sein de la terre, durant les ombres, et réglait au retour du soleil sur toute l'étendue des plaines. Les constellations qui se lèvent pâles prennent moins d'éclat en gagnant dans la profondeur de la nuit, que ma vie ne croissait dans mon sein, soit en puissance, soit en splendeur, à mesure que je pénétrais dans les champs. Quand j'arrêtai mes pas au plus haut des collines, je chancelais comme la statue des dieux entre les bras des prêtres qui la soulèvent jusqu'à la base sacrée. Mon sein, ayant recueilli les esprits du dieu étendus sur la plaine, en avait conçu un trouble qui pressait mes pas et agitait mes pensées comme des flots rendus insensés par les vents. Sans doute, ce fut à la faveur de cet égarement que tu te précipitas dans mon sein, ô Bacchus, car les dieux surprennent ainsi l'esprit des mortels, comme le soleil qui, jaloux de pénétrer des rameaux pressés et pleins d'ombre, les fait entr'ouvrir par l'aquilon.
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Le centaure
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Vous poursuivez la sagesse ô Mélampe ! qui est la science de la volonté des dieux, et vous errez parmi les peuples comme un mortel égaré par les destinées. Il est dans ces lieux une pierre qui, dès qu'on la touche, rend un son semblable à celui des cordes d'un instrument qui se rompent, et les hommes racontent qu'Apollon, qui chassait son troupeau dans ces déserts, ayant mis sa lyre sur cette pierre, y laissa cette mélodie. O Mélampe ! les dieux errants ont posé leur lyre sur les pierres ; mais aucun... aucun ne l'y a oubliée. Au temps où je veillais dans les cavernes, j'ai cru quelquefois que j'allais surprendre les rêves de Cybèle endormie, et que la mère des dieux, trahie par les songes, perdrait quelques secrets ; mais je n'ai jamais reconnu que des sons qui se dissolvaient dans le souffle de la nuit, ou des mots inarticulés comme le bouillonnement des fleuves.
«O Macarée ! me dit un jour le grand Chiron dont je suivais la vieillesse, nous sommes tous deux centaures des montagnes ; mais que nos pratiques sont opposées ! Vous le voyez, tous les soins de mes journées consistent dans la recherche des plantes, et vous, vous êtes semblable à ces mortels qui ont recueilli sur les eaux ou dans les bois et porté à leurs lèvres quelques fragments du chalumeau rompu par le dieu Pan. Dès lors ces mortels, ayant respiré dans ces débris du dieu un esprit sauvage ou peut-être gagné quelque fureur secrète, entrent dans les déserts, se plongent aux forêts, côtoient les eaux, se mêlent aux montagnes, inquiets et portés d'un dessein inconnu. Les cavales aimées par les vents dans la Scythie la plus lointaine ne sont ni plus farouches que vous, ni plus tristes le soir, quand l'Aquilon s'est retiré. Cherchez-vous les dieux, ô Macarée ! et d'où sont issus les hommes, les animaux et les principes du feu universel ? Mais le vieil Océan, père de toutes choses, retient en lui-même ces secrets, et les nymphes qui l'entourent décrivent en chantant un choeur éternel devant lui, pour couvrir ce qui pourrait s'évader de ses lèvres entr'ouvertes par le sommeil. Les mortels qui touchèrent les dieux par leur vertu ont reçu de leurs mains des lyres pour charmer les peuples, ou des semences nouvelles pour les enrichir, mais rien de leur bouche inexorable.
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